On découvre, ravi, des savoir-faire et des recettes que l’on a tout de suite envie de reproduire, mais plus encore, on rencontre ces familles du Sri Lanka, de Syrie ou d’Afghanistan, dans ce moment très particulier de la préparation d’un repas. Moment banal mais intense, moment de vérité en fait, qui révèle et réunit les humains.
Séverine Vitali a fait ses visites avec la photographe Ursula Markus et toutes deux, l’une pour les textes et l’autre pour l’image, ont trouvé la juste approche. Pas d’apitoiement, pas d’euphorie non plus: juste l’envie de la rencontre, la soif d’apprendre, d’égal à égal. Pour chaque famille ou personne rencontrée, Séverine Vitali a écrit un portrait, en quelques paragraphes à peine, quelques touches qui racontent, sans trop en dire, les affres traversées avant l’arrivée en Suisse, l’adaptation à leur pays d’accueil. Elle transcrit délicatement les tempéraments, les sourires, les échanges, les atmosphères, attentive aux détails. Avec un sens de l’humour empathique qui fait mouche. D’ailleurs, le rire est un fil rouge qui parcourt l’ensemble du livre.
Ursula Markus déploie aussi ce sens du détail dans ses photographies, superbes parce qu’elles saisissent la chaleur qui se dégage de chacun de ces instants partagés. Son objectif capte l’immatériel: la fierté des enfants devant leurs parents qui maîtrisent si bien leur savoir-faire, la tendresse qui circule autour des tables, le bonheur de se retrouver, la fatigue des jours aussi. Mais ce qui explose dans les mains du lecteur, devant ces photos, c’est la dignité à toute épreuve de ces cuisiniers du quotidien. Dans leur cuisine de bric et de broc, dans la nudité des pièces communes, ils sont debout, appliqués à faire du bon et du beau. Gros plan sur les mines concentrées, sur les mains expertes. Plan plus large sur les pièces d’habitation transfigurées par la grâce de celles et ceux qui y vivent. Des photos de famille où chacun se pousse sur le canapé. Dans la vapeur des raviolis en train de cuire, c’est l’image même des demandeurs d’asile, des migrants ou des réfugiés qui se transforme.
Poulet, ravioles, poisson au four
Mais il s’agit bien d’un livre de cuisine et les recettes sont transcrites avec beaucoup de précision et de trucs, de tour de main pour y arriver. On a ainsi le poulet en sauce à la manière Meseret Abraha, une Erythréenne à la soixantaine gironde. Gyatso, du Tibet, montre comment façonner les momos et les shabalés, les ravioles à la viande; Walid du Liban n’arrête pas de raconter des histoires drôles en préparant son houmous et son poisson mariné au four. Dabo croule sous les soucis mais le temps du repas, il les met de côté et rit sur presque toutes les photos. Il prépare un riz aux deux poissons, façon sénégalaise. En tout, seize traditions culinaires sont parcourues.
Génie humain
A la fin de l’ouvrage, le chapitre «Ce qu’ils sont devenus» donnent des nouvelles de celles et ceux que nous avons l’impression d’avoir rencontrés. Certains ont été expulsés, d’autres sont partis volontairement. Certains ont trouvé un travail. Plusieurs d’entre eux seront présents au vernissage du livre qui aura lieu à Lausanne samedi 19 novembre en compagnie des deux auteures. La «Cuisine des réfugiés» est un livre à lire, à offrir. La «Cuisine des réfugiés» donne de l’espoir: le génie humain, jusque dans le malheur, tient bon. Un livre qui fait du bien en somme.
Séverine Vitali et Ursula Markus
«La Cuisine des réfugiés»
Helvetiq, 276 pages
Vernissage du livre:
Le samedi 19 novembre à l’espace Saint-Martin à Lausanne (18 rue Saint-Martin/métro Bessières). De 17h à 21h. En présence des auteures et de plusieurs cuisiniers du livre. Dégustation, concert et partage.