Voilà qui n’arrive sans doute pas à tout le monde: découvrir un château, ou du moins ce qu’il en reste. Il a connu ce bonheur. En sa qualité d’historien de l’art, ce fut même un éblouissement. Imaginez cela: on a toujours pensé qu’il existait trois châteaux à Estavayer-le-Lac (celui de Chenaux est encore debout, les deux autres ont croulé) et puis, subitement, un quatrième est révélé à la face, sinon du monde, au moins de la Broye.

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Daniel de Raemy se doutait bien qu’un mystère planait autour des murs soutenant la place de Moudon. Larges, épais, ne correspondant pas au tracé de l’ancienne enceinte de la ville. Il n’avait jamais pu accéder à ces murs à cause des ronces qui faisaient obstacle telles le fer barbelé. «Pendant quinze ans, la durée de mes recherches, je suis passé à côté de cette végétation qui dissimulait tout», dit-il.

Des tonnes d’archives

Mais un jour la commune a défriché et rasé le buisson épineux. Miracle! Le pan de mur, en grès coquillier (d’origine tertiaire comme les autres roches du plateau fribourgeois), est celui d’un château édifié vers 1240. «Les murs ont été rétrécis et intégrés à ceux qui ont été construits en 1530 pour soutenir la place de Moudon», argue-t-il. Il faudrait une fouille archéologique du sous-sol pour se faire une idée précise de l’ensemble.

L’historien juge qu’il existait sans doute une tour défensive, une cour et un corps de logis destiné à la résidence du coseigneur. Daniel de Raemy a publié en 2020 un ouvrage de près de 500 pages, Le District de la Broye, 1. La ville d’Estavayer-le-Lac. Vingt années au total d’étude sur le bâti de la cité médiévale pour y dévoiler l’évolution sur le plan architectural, des origines à nos jours. Il a épluché des tonnes d’archives, a visité quelque 180 maisons. C’est le Service des biens culturels du canton de Fribourg qui a passé commande.

Daniel de Raemy est né à Fribourg mais a grandi à Yverdon, dans une famille aristocrate «qui a tenu le haut du pavé durant l’ancien régime». Mère secrétaire, père ingénieur féru de sciences, de religion et de littérature. «Un virtuose du fer à souder, il fabriquait des radios, des lampes, des amplis», se souvient Daniel. Deux frères, l’un devenu ingénieur comme le papa, l’autre qui aujourd’hui porte soutane à Payerne.

Le petit Daniel est plutôt littéraire et très turbulent. A l’école catholique d’Yverdon, sa place est au fond de la classe, près du radiateur. Mais une petite chaise lui est réservée dans le corridor lorsqu’il est trop bavard. Ce strapontin offre une vue sur le château d’Yverdon et ses tours circulaires. Ainsi naît une vocation. Mais le jeune homme se voit tout d’abord missionnaire pour visiter le monde. «Aller porter la bonne parole chez les mécréants», résume-t-il. En classe, il est de bon aloi de verser son obole dans une tirelire. «Sortait alors la tête d’un homme de race noire, mais nous disions nègre à l’époque.» La crousille une fois remplie finançait les missions catholiques.

Finalement, il voyagera peu. Il est allé en qualité d’historien des monuments en Syrie et en Palestine, mais a préféré tenir le rôle de régional de l’étape, «étudier les châteaux forts chez moi. Le côté néocolonial de ces déplacements me déplaît fortement», assène-t-il. Il décroche un bac scientifique tout en dévorant les ouvrages qui racontent le Moyen Age. L’Uni à Lausanne, Fac de lettres. Une licence et un mémoire titré: «Le château de la Tour-de-Peilz, histoire et architecture», sous la direction du professeur Marcel Grandjean, son mentor. Puis une thèse de doctorat sur l’architecture militaire savoyarde des XIIIe et début du XIVe siècles.

Retour à Estavayer-le-Lac, ville qu’il ralliait à vélo depuis son bureau de Fribourg, à la vitesse du train omnibus. Quatre mille kilomètres chaque année, «pour appréhender le paysage et se recentrer, digérer chaque jour les découvertes». Cent quatre-vingts maisons visitées, disions-nous. Les refus de la part des propriétaires furent rares. «Certains craignaient sans doute une inspection et l’obligation de prévoir des travaux», indique Daniel.

Avec les nonnes

Faute de place, son ouvrage présente 20 de ces habitations. «Mais j’ai adressé aux 180 familles un historique de leur demeure», s’honore-t-il. Il n’a pas omis le couvent des dominicaines. «Les sœurs m’ont ouvert leurs portes. Trois sont licenciées en lettres, elles étaient très intéressées.» Daniel de Raemy a travaillé dans le parloir, les nonnes lui apportant parchemins roulés, livres, courriers et autres documents. Seul un miracle, selon les religieuses, expliquait qu’un incendie au XVIIe siècle n’ait fait aucune victime.

L’historien leur a fourni sa version: «Elles dormaient dans le dortoir d’été, et c’est celui d’hiver qui s’est effondré.» Les dominicaines ont paru dépitées. L’ancien four du bourg, déjà cité en 1277, qu’il a visité en 2006 était occupé par un garagiste déprimé depuis que son épouse l’avait quitté. «Il vivait là avec un pigeon perché sur son épaule. Pour faire le relevé de l’édifice, nous avons dû travailler parmi les fientes qui piquetaient tout de blanc.» En 1984, le premier mandat du jeune historien Daniel de Raemy fut l’étude du château de Grandson. Un nouveau mandat l’envoie aujourd’hui à l’assaut de ses tours fortifiées. La retraite attendra.


Profil

1956 Naissance à Fribourg.

1985 Thèse de doctorat sur l’architecture militaire savoyarde.

2002 Nommé rédacteur des Monuments d’art et d’histoire pour le canton de Fribourg.

2020 Publie son ouvrage de 500 pages sur la ville d’Estavayer-le-Lac.


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