Delphine de Vigan a l’art de parler du quotidien. Que ce soit dans ses romans autobiographiques comme «Jours sans faim» ou «Rien ne s’oppose à la nuit», son plus grand succès, paru en 2011, qui racontait la vie de sa mère bipolaire, ou dans ses fictions plus classiques, comme Les Heures souterraines. A chaque fois, d’infimes détails, précis, limpides, où chacun se reconnaît.

«D’après une histoire vraie», son nouveau titre, compte parmi les succès de cette rentrée. Cela commence comme un récit de vie, celle de Delphine de Vigan, vidée après le raz de marée populaire de «Rien ne s’oppose à la nuit». Cela se termine comme un thriller. Entre les deux, une mise en abyme de la fascination contemporaine pour le vrai.


Le Temps: Comment est né ce nouveau roman?

Delphine de Vigan: De l’émotion qu’a suscité Rien ne s’oppose à la nuit, mon précédent livre, chez les lecteurs. Certains étaient fascinés par la part de vérité contenue dans le livre. Pendant les séances de signatures, on me demandait: qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui ne l’est pas? Est-ce que vous avez vraiment vécu cela? J’en suis venue à me demander si la vérité contenue dans le livre était la seule raison de son succès. Cela me laissait un peu désemparée. Puis je me suis dit que si les lecteurs posaient ces questions, c’est que le livre les avait touchés.

D’où votre envie d’écrire un livre sur le vrai et ses faux-semblants?

J’ai eu envie d’amener le lecteur à se demander ce qu’il cherche dans la littérature. Notre époque est fascinée par le vrai. Le fait réel est devenu un argument de vente pour les livres et pour le cinéma. Le fait d’indiquer que tel film est inspiré d’une histoire vraie semble garantir un surcroît d’intérêt. Le vrai interpelle…

Le personnage du livre s’appelle Delphine de Vigan. Quel est son degré de ressemblance avec vous?

On se rejoint sur plusieurs choses mais pas sur toutes.

Et le personnage de L., l’amie qui va petit à petit vampiriser le personnage de Delphine de Vigan, existe-t-il?

Sous une forme ou sous une autre, oui.

Vous vous étiez attendue au succès de «Rien ne s’oppose à la nuit»?

Non, pas du tout. Mes deux précédents romans avaient rencontré un certain succès qui me comblait. Je pensais que Rien ne s’oppose à la nuit serait au contraire un livre plus confidentiel. Je me demandais qui allait s’intéresser à cette histoire de famille.

Est-ce que cela a été facile de se remettre à écrire après un tel succès?

Chaque livre est potentiellement le dernier. On se demande toujours si on aura l’élan pour recommencer. Cette fois-ci, ces questions se sont posées avec une inquiétude plus grande. Les lecteurs, et notamment ceux qui me suivaient depuis le début, me demandaient: qu’est-ce que vous pourrez bien écrire après ça? Personne ne m’avait dit cela avant. C’est assez terrifiant. Rien ne s’oppose à la nuit fermait une boucle.

Peut-être parce que vous y exploriez pourquoi vous êtes devenue écrivain.

J’explorais l’idée que la personnalité de ma mère, l’humeur désespérée et totalement folklorique de ma famille ont sans doute contribué à fabriquer l’écrivain que je suis devenue. Je le crois encore.

Quand avez-vous commencé à écrire?

A l’âge de 12 ans. J’ai tenu un journal jusqu’à la naissance de ma fille. C’était une écriture intime, sans enjeu de forme. Aujourd’hui, ces cahiers sont ma mémoire. Je m’y suis replongée pour écrire Jours sans faim et Rien ne s’oppose à la nuit. J’y ai découvert des choses qui font clairement partie de moi mais que j’avais oubliées, c’est étrange. Après, beaucoup plus tard, j’ai eu l’idée d’écrire une histoire, de la taper sur l’ordinateur et de l’envoyer à des éditeurs. Je ne sais pas pourquoi, je serais incapable d’expliquer le déclic.

«D’après une histoire vraie» aborde le thème de l’emprise psychologique. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce phénomène?

J’abordais déjà l’abus de pouvoir dans Les Heures souterraines. Je m’intéresse au langage qui devient dans ces cas-là une arme de destruction. L. fragilise et manipule Delphine essentiellement par les mots. Au fond, c’est son discours qui est le plus perturbant.

De quel type de tyran souffre Delphine, intérieur ou extérieur?

C’est l’enjeu du livre. L’écriture est un moment de vulnérabilité. Delphine a un projet d’écriture que L. détruit d’entrée de jeu. Delphine se retrouve alors dans un vide qui va permettre la prolifération vertigineuse du doute. C’est une métaphore de ce que vit un écrivain dans sa solitude. Quand j’écris, je me retranche du monde, même si je suis entourée de gens. L’écriture relève beaucoup de l’obsession, on fait appel à des choses très inconscientes qui s’expriment parfois sans qu’on le veuille. Je suis persuadée que chaque écrivain a une sorte de petit démon perché sur son épaule qui parfois ricane, parfois dicte ce qui s’écrit.

Vous placez le livre sous le compagnonnage de Stephen King. En quoi vous a-t-il inspirée?

Comme j’avais envie de mêler les codes de l’autofiction et du thriller psychologique, j’ai relu Misery, qui porte sur les rapports entre un écrivain à succès et ses lecteurs. C’est une source d’inspiration inépuisable à laquelle je fais quelques clins d’œil. J’ai relu aussi La Part des ténèbres, qui pose la question des doubles de l’écrivain, toujours un peu schizophrène.

Quel est le livre qui vous a permis de vivre de votre plume?

J’ai travaillé vingt ans en entreprise, dont onze dans la même société. J’ai été licenciée trois mois avant la parution de No et moi. Mes précédents romans avaient rencontré des succès d’estime. J’ai fait mes trois mois de préavis et puis No et moi a commencé à marcher beaucoup plus que ce que j’imaginais avec des traductions et une adaptation au cinéma. Je me suis dit que je pourrais écrire mon prochain livre à la lumière du jour. Jusque-là, j’écrivais toujours la nuit.

La nuit?

Oui, après le travail, quand mes enfants étaient couchés. Pendant neuf ans, pour mes quatre premiers romans, j’ai écrit la nuit. Les scènes du quotidien occupent une place importante dans vos livres. Ici, vous évoquez le départ des enfants… Ces scènes sont très importantes pour moi. Dans Un soir de décembre, le personnage principal a des enfants en bas âge, je voulais décrire ce quotidien-là.

Dans Les Heures souterraines, je décris un trajet de métro et les petits déjeuners entre Mathilde et ses enfants. Il faut que le lecteur ne s’ennuie pas et se reconnaisse, c’est ce que je recherche. Ma fille est partie de la maison, mon fils vit encore avec moi. Ce qui me permet quand même d’appréhender ce que ce sera quand les deux seront loin. J’ai déjà la nostalgie de quand ils étaient petits. C’est la sensation qui m’intéresse. Ce que c’est que d’ouvrir la porte de la chambre de son enfant alors qu’elle est vide et qu’elle l’était déjà il y a deux jours et il y a une semaine. J’adore ces moments d’écriture, tenter d’aller à l’essentiel tout en restant dans une économie de mots.