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De l’élection américaine aux primaires de la droite, la confusion des genres règne en matière électorale. Un peu de méthode, que diable!

Les analystes politiques doivent en perdre le sommeil. A un mois de distance, le séisme Trump ne faiblit toujours pas, bien au contraire. C’est comme si sa lame de fond, prenant désormais des proportions planétaires, provoquait le grand déballage de toutes les angoisses sur l’état de nos démocraties. Mais qu’est-ce qui se passe dans la tête des électeurs pour tomber à ce point dans le panneau? Comment les plus déshérités d’entre eux ont-ils pu acheter un vrai programme de droite, avec des exigences de gauche? Car la victoire du milliardaire américain consacre avant tout la confusion des genres, électoraux s’entend.
Sur l’autre rive de l’Atlantique, la situation n’est guère meilleure. Certes, les primaires de la droite française font l’impression d’un retour au clivage classique. Mais que cherchaient ces clandestins de gauche qu’on a dit se cacher parmi les votants de l’autre bord? S’agissait-il de se donner le grand frisson, de briser les derniers tabous, en se mettant dans la peau de l’adversaire? Ou de flairer ailleurs des réponses (à quoi au juste?) qu’ils ne trouvent plus dans leur propre camp? Comme s’il n’y avait pas déjà assez d’espaces où gauche et droite ont fondu ou échangé leurs traits, du centre au FN.
On voit bien que les paysages politiques sont un peu partout en phase de reconfiguration autour de nouveaux critères, qu’ils soient réels ou illusoires (fermeture/ouverture, peuple/élites, etc.). Changement d’époque oblige. Faut-il vraiment en vouloir alors aux électeurs s’ils peinent à s’orienter au milieu de tout ça, en attendant le jour où les fronts se clarifieront enfin? Faute de mieux, ils peuvent toujours aller chercher du réconfort auprès de Descartes. L’ébranlement actuel des opinions politiques n’est-il pas aussi perturbant pour nos habitudes que l’avait été en son temps celui de la connaissance? «Le Discours de la méthode» (1637) dresse un programme au long cours: face aux incertitudes de l’esprit humain, vérifier chaque connaissance et chaque opinion reçues sur la base d’un examen rationnel capable d’arracher notre acquiescement personnel.
Mais comment faire pour aller de l’avant, jour après jour, quand tout est à reconstruire? Descartes répond en proposant une morale provisoire sous forme de maximes, capable de lui servir de boussole dans les moments délicats de l’existence. Sera-t-on surpris qu’elles se laissent transposer avec profit sur le plan qui nous intéresse, celui des choix politiques? Avec l’avantage notable d’être valables pour tous les partis. Faisons donc comme si Descartes les avait écrites pour nous. La première maxime incite à privilégier les opinions et les courants modérés, tels qu’ils n’engagent à rien de trop définitif, histoire de ne pas obérer l’avenir.
La seconde, à suivre le parti dont la ligne nous semble la plus juste au regard de la situation, et puis de ne plus en changer, pour éviter de virevolter d’un camp à l’autre, au risque d’une perte totale des repères politiques. La troisième, pour finir, à ne pas confondre nos désirs – aussi légitimes qu’ils nous paraissent – avec l’ordre du monde, et, en cas de conflit, d’essayer de changer les premiers avant de s’attaquer au reste. Mais cette approche de type rationnel est-elle vraiment applicable à la politique, qui est non seulement un mélange de connaissance et d’opinion, mais aussi de foi? Sous ses allures modestes, elle pourrait commencer par réduire la fracture entre les trois. Ce qui n’est déjà pas rien.
Extrait du «Discours de la méthode» de René Descartes
«Et enfin, comme ce n’est pas assez, avant de commencer à rebâtir le logis où on demeure, que de l’abattre, et de faire provision de matériaux et d’architectes, ou s’exercer soi-même à l’architecture, et outre cela d’en avoir soigneusement tracé le dessin; mais qu’il faut aussi s’être pourvu de quelque autre, où on puisse être logé commodément pendant le temps qu’on y travaillera; ainsi, afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions, pendant que la raison m’obligerait de l’être en mes jugements, et que je ne laissasse pas de vivre dès lors le plus heureusement que je pourrais, je me formai une morale par provision, qui ne consistait qu’en trois ou quatre maximes, dont je veux bien vous faire part.»