ROMAN
Il y a un an, «Pour en finir avec Eddy Bellegueule» faisait sensation. Histoire de la violence poursuit le décodage des rapports de force, de classe et de domination

«Histoire de la violence» d’Edouard Louis est l’un des livres les plus guettés de cette rentrée d’hiver. En janvier 2014, le jeune auteur créait la sensation avec son premier roman, «Pour en finir avec Eddy Bellegueule». A tout juste 22 ans, avec une rare maîtrise, il racontait pourquoi et comment il avait fui son village de Picardie, sa famille et son milieu ouvrier. Le titre était à prendre au pied de la lettre: le pseudonyme n’était pas une coquetterie mais un cri. Le garçon homosexuel, rejeté par sa famille, battu à l’école, prenait les jambes à son cou et tirait un trait sur son identité passée pour tenter de vivre et se réinventer. Pour en finir avec Eddy Bellegueule est édité à ce jour dans une vingtaine de pays et une adaptation signée André Téchiné sortira sur les écrans en 2016.
«Pour en finir avec Eddy Bellegueule» dénonçait la violence au quotidien subie par l’auteur mais aussi par ceux-là même qui le violentait. Lecteur de Pierre Bourdieu, étudiant en sociologie, Edouard Louis mêlait à son récit des analyses sur la perpétuation de l’exclusion sociale et de la violence. Dire la violence, la brutalité, des crachats reçus à l’école à la déchéance du père, exclu de l’usine à cause d’un dos… détruit par l’usine. Décrire l’abrutissement, la pauvreté. Ecrire comme moyen d’interrompre le cycle infernal et de sortir du silence.
Inspiré par les démarches d’Annie Ernaux et de Thomas Bernhard, Edouard Louis et son livre ont aussi provoqué une polémique dans la foulée de celles qu’entraînent nombre de récits autobiographiques: jusqu’où peut-on inclure des personnes réelles dans les romans (ici la famille d’Edouard Louis)? Ce qu’il décrit dans son livre correspond-il vraiment à la réalité ou n’a-t-il pas noircit le tableau? Edouard Louis dénonce-t-il l’humiliation sociale ou n’est-il pas lui-même pris au piège d’un «mépris de classe»? Edouard Louis a répondu point par point. Il prépare aujourd’hui une thèse sur les «transfuges de classes».
On retrouve beaucoup des ingrédients de «Pour en finir avec Eddy Bellegueule «dans «Histoire de la violence»: la prouesse d’écriture, la prise en compte des ambiguités et les siennes propres au premier chef, les différents registres de langage (parlé populaire et littéraire/cultivé), les thèmes de la honte, du désir. Le souci de ne pas s’épargner. Edouard Louis revient sur un drame qu’il a vécu un 24 décembre, chez lui. C’était avant le succès de son premier roman. Abordé dans la rue par un inconnu, attiré par lui, il accepte de le faire monter dans son studio. L’inconnu s’appelle Reda. Ils rient, ils discutent, ils font l’amour. Et puis, la soirée bascule quand Edouard Louis s’aperçoit que son téléphone portable n’est plus dans sa poche. Puis il voit un bout de son Ipad qui dépasse du manteau de Reda. Celui-ci devient violent: il tente d’étrangler Edouard Louis, le menace d’une arme et le viole.
D’où vient la violence, quels sont ses mécanismes? Ces questionnements sont, ici encore, le moteur du livre. Edouard Louis déplie cette nuit dramatique en croisant les récits. C’est celui de sa soeur qui structure le roman. Un an après les faits, encore marqué et épuisé, Edouard Louis a séjourné chez elle, pensant que la campagne lui ferait du bien. Il lui relate l’événement. Et elle le fera à son tour, à son mari. Impressionnant monologue qu’Edouard Louis aurait entendu, depuis une autre pièce. Ce dispositif, où l’auteur est caché, masqué, renvoie à l’un des questionnements les plus aigus du roman: est-ce que ce n’est pas parce que l’auteur mentait sur ses origines sociales, lui le fils d’ouvrier déguisé en bourgeois, qu’il a été abordé dans la rue puis agressé? Qu’il n’a pas su dire qui il était, aussi?
Rencontre avec Edouard Louis le mercredi 20 janvier à 20h, à la Maison de Rousseau et de la littérature (40 Grand-Rue) à Genève. www.m-r-l.ch