Le premier a l’œil rivé sur l’humus et les sens aux aguets; le second, le nez au vent et les sens plus affûtés encore. Mon premier cueille et mon second effeuille; l’un est un chasseur-cueilleur, l’autre, un assembleur de saveurs, un créateur émerveillé. François Couplan et Carlo Crisci ont eu l’heureuse idée de collaborer: au cas où vous l’ignoreriez encore, le premier est un fameux ethnobotaniste à chapeau, le second, cuisinier étoilé aux toques multiples, au Cerf, à Cossonay.

De cette rencontre est né Vertiges des saveurs, LE vade-mecum ­indispensable des curieux de nature, de toute nature. Une cinquantaine de plantes sont décrites: habitat et caractéristiques, usages alimentaires ou médicinaux, composition et précautions d’emploi. On tourne la page et on est ébloui par les métamorphoses de la mauvaise graine en un tableau virtuose. Salade de pétoncles à l’égopode croquante, frioles de grenouilles en velours de houblon, risotto à la myrrhe et von­goles, ciselé de lapin au mélilot, écrevisses en velours de pissenlit… Autant de recettes radicalement originales, simples pour certaines (financier à l’aspérule), redoutablement complexes pour d’autres (filet de pigeon en jus de betterave parfumé à l’impératoire et pousses de berce), nécessitant de longues opérations (carpaccio de tête de veau aux boutons de pâquerettes) – toutes un peu magiques, quoique, en principe, accessibles aux amateurs éclairés…

Le monde moderne, nous dit en substance Couplan, se serait coupé de ce répertoire prodigieux par snobisme. Au Moyen Age, les élites, souhaitant se distinguer du peuple – ce vulgaire brouteur de mauvaises herbes et de racines –, se mirent à préférer le haricot vert et le petit pois à l’ortie et au pissenlit…

L’époque contemporaine a récemment donné raison au peuple des champs. Depuis une trentaine d’années, quelques pionniers nommés Michel Bras, Judith Baumann, Marc Veyrat ont redonné une noblesse à la berce commune, fait jaillir le polypode vulgaire, la bistorte et l’épiaire de la porcelaine de Limoges. Les bobos font aujourd’hui des ateliers chez Judith Baumann, Madame Tout-le-Monde va quérir l’ail des ours pour ses salades et sa concierge chérit le pissenlit. Le monde sauvage est devenu tendance, nous dit l’ethnobotaniste qui s’y consacre depuis trois décennies, et la chose va s’amplifiant sous l’influence de grands chefs tels Rene Redzepi ou Magnus Nilsson, qui en ont fait une philosophie, une manière d’être, une vision du monde.

Vertiges des saveurs. Cueillir & cuisiner les plantes sauvages, Carlo Crisci et François Couplan. Belvédère, 224 p. Env. 48 francs