«Hypocondries, insomnies, impatiences et tourments» sont, d’après l’Italien Antonio Tabucchi, les muses qui ont présidé aux douze nouvelles de ce recueil baroque. L’auteur se garde bien d’expliquer ses histoires, préservant leur mystère si séduisant, plus juste, et l’on songe aux grands précurseurs de Tabucchi dans l’art de la fable que sont Buzzati ou Calvino. Ces histoires, précise encore l’auteur dans une note introductive, sont encore à «l’état larvaire». «Nombre d’entre elles me paraissent vaguer dans un curieux extérieur qui leur est propre et qui ne possède pas d’intérieur, comme des éclats à la dérive ayant survécu à un tout qui n’a jamais existé.»

Lire aussi:  Un cri de colère de Tabucchi, interrompu par sa disparition

Elles surprennent nos réflexes de lecteur, nous échappent, demeurent incongrues, de cette belle incongruité, de cette vertigineuse naïveté de la vie même. Comme ce frère Angelico dans son couvent florentin, qui reçoit, dans les premières pages du recueil, la visite de trois étranges créatures venues du ciel, sortes d’anges cabossés, déplumés, chétifs, épuisés et malgré tout prodigieux, qu’il est le seul à voir. «Demain tu dois nous peindre, nous sommes venus pour cela.» demandent les créatures à Fra Angelico, leurs «grands yeux très clairs, comme faits d’eau, stupéfaits».

Le vertige du temps

«Ecris-nous» semblent demander de même ces fables à Antonio Tabucchi. Sous sa plume, l’humour n’empêche pas, bien au contraire, l’émotion et la profondeur. Les merveilles de la littérature sont convoquées, depuis Homère: magie, drames, aventures, amours absolus, morts brutales. Ces petits textes sont des rêves, des pièges qui se referment sur eux-mêmes, ainsi celui qui est intitulé: «La phrase qui suit est fausse. La phrase qui précède est vraie.»

Lire aussi le texte dédié à l'écrivain italien par Jérôme Meizoz:  «Antonio Tabucchi, l’Histoire est une tempête»

Ce sont des miroirs enfin, tendus au lecteur. On y sent passer, sur sa peau et dans son cœur, le vertige du temps et sa substance même, chargée de la nostalgie de l’amour perdu ou plutôt jamais advenu. En deux pages, «Message de la pénombre» fait pleurer en retraçant une histoire d’amour, sa naissance, sa fin, et ce qui en demeure, une «peine-ombre» qui suit le narrateur partout. Une première nuit d’amour, «liquide, comme la pulpe d’un abricot», moment infime dans une vie, devient pourtant infinie. Avec Tabucchi se vérifie la règle: «Les livres, comme vous le savez, sont presque toujours plus grands que nous.»


Nouvelles
Antonio Tabucchi
«Les volatiles de Fra Angelico»
Gallimard, 93 p.
Traduit de l’italien par Bernard Comment