Furibonderie des internautes, gazouilleurs et autres réactifs en ligne. L’écrivain lui-même s’est fendu d’un tweet se plaçant dans le long combat pour la littérature dire populaire.
Une précédente chronique de thriller: Jean-Christophe Grangé sonde l’âme des milieux interlopes
Une jeune femme défigurée
Toutefois, le problème avec Franck Thilliez se situe bien ailleurs. Il est temps de s’émouvoir pour ses personnages, matière première traitée avec violence et désinvolture, à un point qui devrait faire scandale.
Le manuscrit inachevé commence par une poupée russe, puisque le lecteur apprend que ces pages laissées en friche sont l’œuvre d’un écrivain disparu. C’est son fils qui finit l’intrigue. Il y a donc deux pages de garde, une distrayante entrée en matière. L’histoire va reposer sur deux pans. La découverte, vers Grenoble, du corps d’une jeune femme défigurée dans un coffre de voiture. Or, le véhicule avait été volé; l’assassin court dans la nature. Et il y a les tourments d’Enaël Miraure, pseudonyme d’une écrivaine de romans à suspense – «Miraure» pour le miroir, au cas où l’on n’aurait pas perçu la combine. Sa fille a été enlevée il y a quatre ans. L’agression de son mari, dont elle est séparée, relance l’enquête, qui va la conduire dans des milieux fort interlopes. Sa fille est-elle encore en vie?
Descente aux enfers
Et c’est là que s’ouvrent les portes de l’enfer, en particulier pour Léane. S’agissant de cette pauvre protagoniste, Le manuscrit inachevé s’écoule, au long de 526 pages, comme une longue souffrance. Citons quelques exemples, parmi tant d’autres. Dès la page 55: «Léane avait l’impression de vivre le dernier round d’un match de boxe, elle prenait coup sur coup.» Puis p. 86: «Les lettres de sang formaient un mot, un mot qui s’abattit sur la conscience de Léane comme un coup de massue.» Ou encore p. 224: «Son cœur faillit lâcher lorsque son téléphone sonna» – elle avait déjà «frôlé la crise cardiaque» à la page 162. Sueurs froides à nouveau, p. 306: «Léane reçut un tel choc qu’elle fut incapable de formuler la moindre pensée […]»
Soixante-trois pages plus loin: «Léane eut l’impression de recevoir une gifle en pleine figure.» Entre-temps, elle a été «au bord de la crise de nerfs». Puis page 475: «Léane eut l’impression de recevoir un coup de poing en pleine figure.» Et avec 41 pages de plus: «Léane recevait chaque mot comme si c’était un coup de scalpel.» Enfin, sur la page d’en face: «Léane sentit les crampes monter dans son estomac, mais elle n’avait plus rien à vomir.»
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Antispécisme littéraire
N’en jetez plus. Franck Thilliez, c’est de l’antispécisme littéraire, du harcèlement de personnages, de la maltraitance de jeunes personnes en position de vulnérabilité. Que le lecteur se mette un temps à la place de ces figures, il comprendra leur calvaire. Or, chacun le sait, qui n’aime pas ses personnages n’aime pas l’humanité. Franck Thilliez se révèle ainsi comme un être dangereux, et même, oui, un bourreau. Il est temps d’instaurer une démocratie littéraire participative, qui repense les liens entre l’homme et le personnage, et qui accorde à ce dernier les droits qui lui reviennent. La brutalité des hommes, c’est-à-dire des écrivains, mérite désormais châtiment.
Bien sûr, par ailleurs, l’auteur écrit avec un marteau et perd ses bonnes idées en cours de route, comme la mise en abyme initiale, tout cela pour terminer sur un twist d’un navrant classicisme. Mais peu importe. Ce qui compte à présent, c’est de sauver les personnages de Franck Thilliez.
Franck Thilliez, «Le manuscrit inachevé», Fleuve noir, 528 p.