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«Ici, nous avons longtemps privilégié l’entre-soi, mais j’ai été engagée il y a vingt ans pour ouvrir la maison et développer les activités culturelles», explique Delphine de Candolle, la directrice, qui a épousé un descendant de l’illustre botaniste Augustin Pyramus, fondateur de la société. Qui sont les membres aujourd’hui? «Il y a certes chez certains sociétaires un sentiment de filiation, mais le cercle s’est étendu bien au-delà des vieilles familles genevoises, grâce, justement, aux manifestations culturelles, répond Corinne Chaponnière, qui a écrit l’histoire de la société*. Les Français sont bien représentés, c’est aussi un lieu d’intégration de la Genève internationale et les femmes sont nombreuses, comme souvent dans les activités culturelles.» Les femmes qui, au sortir d’un long règne d’exclusivité masculine, ont aussi pris un rôle majeur dans la direction de la maison.
Un bibliothécaire et ses trésors
Depuis longtemps, le parrainage a été abandonné. Chacun peut devenir membre en s’acquittant des 370 francs de cotisation annuelle. L’agenda offre une cinquantaine de rendez-vous par an, rencontres avec des écrivains, cercles de lecture, ateliers d’échecs, séances de yoga et activités pour enfants. «Les écrivains nous le disent, souvent avec admiration, notre public est attentif, bienveillant et très bien informé», assure Delphine de Candolle.
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Au-dessus des salons de réception et de conversation se trouvent deux étages de salles de travail. Silence studieux, recoins pour s’isoler, vues plongeantes sur la Rade; 400 000 titres en libre accès. Ce dédale est le royaume d’un bibliothécaire passionné. Maxime Canals nous entraîne dans le sanctuaire où il conserve ses trésors, comme le De Architectura de Vitruve, dans une édition vénitienne de 1497, ou un tirage original du Devin du village de Rousseau. Ménageant ses effets, le voici qui enfile des gants pour ouvrir un volume d’apparence anodine. C’est la Vie de Jésus, de Renan, annoté au crayon par Lénine, qui s’intéressait en 1904 au socialisme primitif. Lui aussi, comme Liszt, Henry Dunant, Amiel ou le général Dufour, a été membre de la société.
La rançon du succès
La description de la Société de lecture que faisait en 1922 le leader fasciste Georges Oltramare était peut-être un brin caricaturale: «C’est le rendez-vous des gens bien/qui ont malgré le cours des changes/dans leurs bottes assez de foin/pour habiter la rue des Granges.» Cent ans plus tard, en tout cas, les efforts d’ouverture ont porté leurs fruits. Au point que la vénérable Société de lecture, qui recense désormais 1500 membres, connaît la rançon du succès. Les visites des vedettes du livre affichent rapidement complet. Il n’est pas rare de recevoir 200 ou 300 demandes, pour un lieu qui ne peut recevoir que 100 visiteurs, ce qui engendre des frustrations. Alors, on dédouble les conférences, on tient les événements hors norme au Théâtre de Carouge, on réfléchit à la suite. Le lieu, la bibliothèque, les membres, aucun de ces trois piliers ne doit être sacrifié. Revenir à plus d’entre-soi ne semble pas d’actualité.
*«La Société de lecture, chronique d’une aventure (1818-2018)», de Corinne Chaponnière et al.