Fiami, l’enthousiasme en partage
Rencontre
Avec sa chaîne YouTube consacrée aux fables de La Fontaine, le dessinateur a conquis un public dans toute la Suisse romande et au-delà. Cette joie de transmettre se décline maintenant en livre. Rencontre avec un enjoué modeste

«C’est pas merveilleux?» Fiami a l’enthousiasme communicatif. Longue silhouette d’inventeur, coiffé en hiver d’un bob anglais, chemise au vent les beaux jours, on le voit cheminer dans les parcs de son quartier à Genève, son chien gambadant autour de lui. Car c’est en marchant que le dessinateur de bandes dessinées apprend par cœur les fables de La Fontaine. Depuis 2015, il a lancé une chaîne YouTube baptisée «Récite-moi La Fontaine».
Récite-moi La Fontaine: Le loup et l'agneau (Muséum de Genève)
Produite par le Muséum d'histoire naturelle de Genève en 2015, les dix petits films de 14 minutes ont déjà été vus plus de 50 000 fois dans 140 pays. A chaque fois, Fiami se présente devant une classe genevoise du primaire pour faire découvrir une fable aux enfants avec pour tout matériel une grande feuille de papier avec dessus le texte écrit à la main. Autre condition: les enfants n’ont reçu aucune préparation particulière. Tout se passe dans l’instant et en une seule prise. Plaisir des mots, plaisir d’apprendre, talent du conteur, humour et sagesse des fables: une joie irrésistible se dégage de «Récite-moi La Fontaine».
«Je me sers des animaux pour instruire les hommes»
Face au succès, une saison 2 est maintenant en ligne et cette fois, le tournage a eu lieu dans les cinq principaux Musées d’histoire naturelle de Suisse romande à Lausanne, Porrentruy, Fribourg, Neuchâtel et Sion. Avec des classes mais aussi des seniors. Ouverte en février, cette saison s’égrène jusqu’à l’été. Chaque musée organise son lancement avec une conférence d’un expert sur le thème «Je me sers des animaux pour instruire les hommes». Le philosophe Frédéric Lenoir avait lancé la première saison. En 2017, le photographe Michel Roggo, le biologiste Daniel Cherix ou encore le créateur de La Salamandre Julien Perrot sont de la partie. Et un album de 36 pages prolonge aujourd’hui les vidéos avec fables, dessins et photos (www.fiami.ch).
Les fables ont des vertus extraordinaires. La beauté des phrases, leur rythme faisaient leur effet. Nous avons tous besoin de beauté.
Quand nous le rencontrons, chez lui, au Petit-Saconnex, il se prépare à présenter «Le lièvre et la tortue» à une résidence pour personnes âgées à quelques rues de là. «Ces moments convient souvent de l’émotion. Les fables rappellent l’enfance. Un monsieur m’a dit: «Pendant une demi-heure, j’avais de nouveau 14 ans…» La Fontaine s’adresse à tous, à chaque moment de la vie», s’émerveille Fiami. Il se rend aussi dans des EMS, face à des publics très diminués, en souffrance. Il est encore ému par le souvenir des regards qui se sont allumés d’un coup quand il a commencé à réciter les premiers vers. «Les fables ont des vertus extraordinaires. La beauté des phrases, leur rythme faisaient leur effet. Nous avons tous besoin de beauté.»
Récite-moi La Fontaine: L'âne et le chien
Il appelle l’armée suisse
Né à Neuchâtel d’une mère suisse et d’un père italien, Fiami (Raphaël Fiammingo à l’état civil) a passé une partie de son enfance à Thonon avant d’arriver à Genève en 1970. Le nez perpétuellement dans des bandes dessinées, l’adolescent a appris à dessiner en copiant ses héros préférés, Lucky Luke en tête. A la fin du secondaire, il ne veut pas d’études qui l’enferment trop dans un domaine. L’architecture qui allie le dessin à une myriade de disciplines lui paraît idéale. Devenu architecte, il prend la crise des années 1990 de plein fouet. Il décide alors de se consacrer à ce qu’il aime: dessiner.
C’est l’époque d’Expo.02. Curieux, il se documente et découvre une histoire méconnue, celle des Expositions nationales: «Chaque Expo a suscité des anecdotes étonnantes et raconte par la bande un pan de l’histoire suisse.» Il tient l’idée d’un album qui s’appellera Tous à l’Expo! Tombant par hasard sur un article de presse où des recrues se plaignent de ne rien apprendre à l’armée, Fiami prend son téléphone et appelle l’armée suisse: pourquoi ne pas distribuer Tous à l’Expo! aux soldats appelés à travailler à Expo.02? Convaincu, l’état-major fait traduire l’album en allemand et en italien et en achète 20 000 exemplaires. «Etonnant non?» lance Fiami, dans cette façon bien à lui de chercher en permanence le lien, le partage.
Soif de transmettre
D’autres albums vont naître de cet enthousiasme et de cette soif de transmettre. Les Vies d’Einstein, Les Vies de Galilée et Les Vies de Marie Curie racontent d’abord des hommes, une femme avançant malgré les difficultés, beaucoup plus que les légendes qu’ils deviendront ensuite. Ces livres donneront une série d’émissions à la RTS, Dessine-moi les étoiles. Et déjà, Fiami est appelé à donner des conférences à partir de ces récits. Le CERN l’invite à raconter les vies de scientifiques. «Moi qui n’ai jamais été bon en sciences, c’était assez fou de me retrouver là à parler à des spécialistes», s’amuse-t-il.
Il m’impressionne. Par la force des images qu’il crée par les mots, comme un créateur de dessin animé avant l’heure.
Comme l’a pointé Marc Escola, professeur de lettres à l’Université de Lausanne, Fiami sait faire résonner l’«esprit d’enfance» dans ses interventions, cette étincelle faite de curiosité, de goût du jeu et du dépassement qui rallie chacun et chacune, quels que soient l’âge, le milieu social, l’état de santé. A cela, Fiami répond qu’il n’y est pour rien, tout le mérite revient à La Fontaine. A force de le fréquenter, il s’en est fait un ami: «Il m’impressionne. Par la force des images qu’il crée par les mots, comme un créateur de dessin animé avant l’heure. Par son côté précurseur des droits des animaux. Tout parle dans l’univers, «il n’est rien qui n’ait son langage», nous dit-il. Il nous invite à tendre l’oreille.» Fiami doit filer à la maison de retraite, son public l’attend.
Fiami, «Récite-moi La Fontaine», fiami.ch, 36 p.
Prochains lancements de «Récite-moi La Fontaine» avec une série de conférences sur le thème «Je me sers des animaux pour instruire les hommes»:
- 25 avril à 18h30, Musée d'histoire naturelle de Neuchâtel, avec Julien Perrot, fondateur de La Salamandre
- 31 mai à 18h30 au Musée de la nature du Valais à Sion, avec Dominique Bourg, philosophe
- 21 juin à 16h au Jurassica Muséum de Porrentruy, avec Joseph Chalverat, artiste et biologiste