«Au lecteur» de ses Essais par Montaigne , 1580
«C’est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t’avertit, dès l’entrée, que je ne m’y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n’y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d’un tel dessein. […] Si c’eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée. Je veux qu’on m’y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice: car c’est moi que je peins.»
Guy de Maupassant à Ernest Garennes, auteur de Baronnette, 1882
«Mon cher confrère,
Vous m’avez demandé une préface pour votre roman Baronnette. J’avoue que je me suis trouvé fort perplexe, hésitant entre mon grand désir de vous être agréable, et ma haine des préfaces. Je n’ai, d’abord, aucun titre pour faire une préface, aucun droit sur l’opinion publique, et aucune autorité pour afficher mes idées en tête d’un livre. Puis les préfaces servent ordinairement à proclamer des théories littéraires. Les miennes sont si vastes que je ne saurais les condenser à propos d’une œuvre quelconque. Elles se bornent à la constatation de cette vérité de La Palisse: Tout livre bien fait est bon.»
Paul Valéry sur Lucien Leuwen de Stendhal, 1927
«Je viens de relire un Lucien Leuwen qui n’est pas tout à fait celui que j’ai tant aimé il y a trente ans. J’ai changé et il a changé. Je me hâte de dire que le second Leuwen qui réforme, augmente et améliore le premier, développe, après l’avoir ravivé, le délicieux souvenir de l’ancienne lecture. – Mais je ne renie pas mon plaisir de jadis.»
Borges sur La Métamorphose de Kafka, 1938
«La critique déplore dans les trois romans de Kafka le manque de nombreux chapitres intermédiaires mais elle reconnaît que ces chapitres ne sont pas indispensables. Quant à moi, j’estime que ce regret dénote une méconnaissance fondamentale de l’art de Kafka. Le pathos de ces romans «inachevés» naît précisément du nombre infini d’obstacles qui sans cesse arrêtent leurs identiques héros. Franz Kafka ne les termina pas parce que l’important était qu’ils fussent sans fin. Vous souvenez-vous du premier et du plus clair des paradoxes de Zénon? Le mouvement est impossible, car avant d’arriver à B nous devrions passer par le point intermédiaire C, mais avant d’arriver à C, nous devrions passer par le point intermédiaire D, mais avant d’arriver à D… Le Grec n’énumère pas tous les points, et Franz Kafka n’a pas à énumérer toutes les vicissitudes. Il suffit que nous comprenions qu’elles sont infinies comme l’Enfer.»
Albert Camus en préfacier des Maximes et pensées de Chamfort, 1944
«Pour un homme qui observe le monde sans cesser d’y tenir sa place, il est bien difficile de penser toujours comme Chamfort. Et, par exemple, on admettra mal que la suprématie fait toujours des ennemis, que le génie est forcément solitaire. Ce sont là choses qu’on dit pour faire plaisir au génie ou à soi-même. Mais il n’y a rien de vrai. La supériorité va très bien avec l’amitié, le génie est quelquefois de bonne compagnie. La sorte de solitude qu’il rencontre ne lui est pas particulière: il est seul quand il le veut.
Il est bien difficile aussi d’entrer avec Chamfort dans un des sentiments les plus communs et les plus sots qui soient, je veux dire le mépris des femmes en général. Il n’y a pas de mépris ni de passion en général. Tout cela demande la connaissance de cause. Ajouterai-je enfin que la misanthropie me paraît une attitude futile et mal venue et que je n’aime dans Chamfort ni sa hargne rentrée, ni son côté «roquet», ni son désespoir total.»
Jean Giono et L’Iliade, 1948
«Je suis du côté des Troyens. Les Grecs, qu’est-ce qu’ils cherchent? Le bruit qu’ils font signifie quoi? Qu’entendent-ils par reprendre Hélène ? Si c’est la reprendre comme on s’empare d’un objet (et la suite de l’aventure nous montrera qu’en effet c’était seulement ça), nous savons que c’est un jeu de dupes. Hélène est comme une charretée de pommes: elle perd son fruit à chaque cahot. Qu’en restera-t-il après qu’ils l’auront traînée sur les chemins raboteux de la mer? Juste assez pour qu’elle aille finalement se prendre (ou qu’on la pende) à la branche noire d’une yeuse.»
Martin Page préface Petites Epiphanies de Caio F. Abreu, 2009
«Je ne sais pas pourquoi ce livre m’a choisi. Il y avait d’autres lecteurs disponibles. Des lecteurs mieux habillés que moi, moins myopes, plus beaux, plus intellectuels, des spécialistes de la littérature brésilienne. Et non, tous ceux-là, il ne leur a pas accordé d’attention. J’ignore ce qui lui a plu en moi. J’ignore pour quelle raison il m’a élu.»