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Foire de Francfort: les écrivains romands à la fête

Douze écrivains et autant d’éditeurs suisses francophones sont conviés au plus important salon professionnel du livre. La France, invitée d’honneur, a mis la francophonie au cœur du rendez-vous mondial

Le conseiller fédéral Alain Berset et le directeur du Musée international de la Réforme, Gabriel de Montmollin, devant la réplique de la presse de Gutenberg installée par le musée genevois à Francfort. — © PETER KLAUNZER / Keystone
Le conseiller fédéral Alain Berset et le directeur du Musée international de la Réforme, Gabriel de Montmollin, devant la réplique de la presse de Gutenberg installée par le musée genevois à Francfort. — © PETER KLAUNZER / Keystone

La Foire du livre de Francfort donne le tournis. Le plus important rendez-vous professionnel du monde du livre réunit chaque année 7000 exposants, éditeurs pour la plupart, venus directement ou par le biais d’agents, vendre et acheter les droits de livres qui deviendront les best-sellers et les révélations littéraires des années à venir. Depuis mercredi et jusqu’à dimanche, la France est le pays invité d’honneur de ce rendez-vous mondial de l’édition. Et pour la première fois dans l’histoire de la foire, le pays invité a fait le choix de sortir de ses frontières. La France a ainsi décidé d’ouvrir l’invitation aux autres littératures de langue française, en Europe (Suisse, Belgique, Luxembourg), en Afrique et au-delà. Les Québécois ont préféré pour leur part attendre 2020, quand le Canada sera à son tour invité d’honneur.

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Le clou du pavillon

Sous la bannière «Francfort en français», le pavillon d’honneur de 2500 mètres carrés attire les regards avec en point de mire une réplique moderne de la presse de Gutenberg. Sous les feux de la rampe, tous les quarts d’heure, un des 190 écrivains francophones invités reçoit les premières pages de son livre imprimé «à l’ancienne», en français et en allemand. Le clou du pavillon est une idée de Gabriel de Montmollin, directeur du Musée de la Réforme à Genève, à la manœuvre pour chaque impression. Parmi les auteurs qui ont ou vont défiler: Michel Houellebecq, Virginie Despentes, J.M.G. Le Clézio, Marie NDiaye, etc.

La Suisse a été parmi les premiers pays francophones à entrer en discussion avec Paul de Sinety, commissaire de «Francfort en français». Grâce au soutien de Pro Helvetia, douze écrivains romands participent à la «Messe» du livre. La sélection des auteurs s’est faite sur plusieurs critères (qualité, actualité éditoriale) dont celui d’être traduit en allemand, «ce qui a beaucoup resserré la focale», précise Aurélia Maillard Despont, chargée de la littérature suisse de langue française à Pro Helvetia. «Il fallait aussi panacher les auteurs suisses édités en France et en Suisse» poursuit la responsable. Au final, Pascale Kramer, Douna Loup, Daniel de Roulet, Noëlle Revaz, Zep, Marie-Jeanne Urech, Roland Buti, Pajak, Thomas Römer notamment, font partie de la délégation.

Lire aussi: Paul de Sinety: «Au-delà de la France, c’est la langue française qui est invitée»

Mètres de rayonnage

Les éditeurs romands ne sont pas en reste. Les coûts de location des mètres de rayonnage dans une foire comme celle de Francfort empêchent la plupart du temps la grande majorité des professionnels du livre romands de faire le déplacement. Douze sont sur place cette année.

But de cette opération d’envergure: offrir une visibilité accrue à la scène du livre romande, permettre d’accélérer sa mise en réseau avec les scènes françaises et allemandes. «Les éditeurs alémaniques ont toujours une présence importante à Francfort. Le fédéralisme de la Suisse et de l’Allemagne permet des imbrications beaucoup plus grandes entre les marchés du livre allemand et alémanique. Et la taille du marché outre-Sarine facilite l’intégration des productions alémaniques dans le circuit allemand. Ce qui n’est pas le cas entre les marchés romand et français. Les professionnels romands butent souvent contre le mur de l’hyper-centralisme parisien. Une occasion comme Francfort 2017 est à saisir pour forger des liens sur le long terme.»

Francfort permet de sceller de fortes amitiés professionnelles, primordiales pour construire des partenariats sur le long terme

Francine Bouchet, directrice de La Joie de lire, qui fête ses 30 ans cette année, compte deux de ses auteurs parmi la délégation d’auteurs: Albertine et Germano Zullo, stars multiprimées de la littérature jeunesse. Tout comme Adrienne Barman dont la Drôle d’encyclopédie a été traduite dans 13 langues. «A Francfort, nous avons 100 rendez-vous en quatre jours, à raison d’un rendez-vous toutes les demi-heures», glisse Francine Bouchet. Mais que l’on ne se trompe pas: ces succès demeurent fragiles, soumis aux aléas d’un marché international très versatile.

Caroline Coutau, des Editions Zoé, fait le voyage surtout pour rencontrer ses collègues éditeurs français et allemands. «Parfois, nous construisons des compagnonnages par e-mails sans jamais nous voir pendant plusieurs années. Francfort permet de sceller de fortes amitiés professionnelles, primordiales pour construire des partenariats sur le long terme.»

Vague d’euphorie

Côté allemand, la littérature en français bénéficie d’une vague favorable qui frise l’euphorie, selon certains commentateurs. Iris Radisch, critique littéraire en vue en Allemagne, a écrit un livre qui s’intitule sobrement Pourquoi les Français écrivent de si bons livres. Isabel Kupski, responsable de collection pour la maison d’édition S. Fischer: «On constate en effet une hausse d’intérêt pour la littérature francophone qui a repris des couleurs depuis quelques années. Nous avons même engagé un «scout», une personne à Paris qui, un peu comme un espion, sonde le milieu et nous envoie chaque semaine un rapport avec des propositions d’auteurs à traduire. Nous avons ainsi acquis les droits de traduction d’Edouard Louis, à qui je prédis une très grande carrière.»

Pour Martin Hielscher, responsable du domaine littérature et fiction pour la prestigieuse maison C.H. Beck, «la littérature francophone n’a pas besoin de la vitrine de la foire, car elle trouvera toujours une couverture médiatique en Allemagne». Les éditeurs allemands soulignent la richesse d’une France multiculturelle dont les auteurs produisent des livres plus décomplexés, plus sensuels. On semble regretter ici un manque d’impertinence de la part des auteurs germanophones.

Intérêt pour les petites maisons

La littérature de Suisse romande profite de cet élan. Joël Dicker est publié depuis 2016 chez Piper. Le Milieu de l’horizon de Roland Buti s’est vendu à 10 000 exemplaires dans sa traduction allemande. Pour les maisons d’édition suisses alémaniques, la foire représente aussi un rendez-vous important. Brigitta Wettstein, qui a fondé en 2009 à Zurich la maison d’édition bilingue français-allemand Pearlbooksedition, assure que Francfort est une opportunité unique pour se faire connaître. Avec la sortie en allemand du roman Permis C de l’auteur lausannois Joseph Incardona, qui fait partie de la délégation d'auteurs suisses à Francfort, elle espère «lancer de petites passerelles par-dessus le Röstigraben». Même son de cloche chez l’éditeur Ricco Bilger, qui sort une demi-douzaine de romans par an et publie les traductions d’Anne Cuneo, de Quentin Mouron et de Marie-Jeanne Urech: «Je me réjouis de voir que l’intérêt pour les petites maisons d’édition indépendantes grandit.»

A l’heure du numérique triomphant, tous les professionnels présents le répètent: rien ne remplace les contacts directs. Thorsten Ahrend, de la maison allemande Wallstein, s’apprête à publier L’Infini livre de Noëlle Revaz: «Si je n’avais pas été invité par Pro Helvetia à un festival littéraire au Tessin, je n’aurais pas eu l’occasion de rencontrer l’auteure et de découvrir son univers. C’est le premier texte d’un écrivain de Suisse romande que nous publions.»

Collaboration: Lisbeth Koutchoumoff Arman