François Beuchat, une vie en fragments
Chroniques
Le Biennois est de retour avec «Les Heures bleues». Toujours aussi poignant, aussi juste. Au mot près

On ne sait pas quand cela prendra fin, peut-être jamais, ou disons dans très longtemps. On parle de 19’000 pages manuscrites. Mais les écrits de François Beuchat nous arrivent par petites doses, ici 141 pages dans le petit format des Editions d’autre part. Et toujours aussi savoureuses.
Après «L’Inadapté» en 2005 et «Le Moineau dans un bocal» en 2010, voici «Les heures bleues». La même petite musique joyeusement mélancolique fait encore merveille. Les textes sont brefs, évocateurs, et portent toujours un titre. Ce n’est pas un journal, ou alors un journal d’un genre très particulier comme le journal d’un journal, c’est-à-dire ce que Beuchat écrit chaque jour en tant que souvenirs d’instants envolés et brillants comme de l’or dans sa mémoire. «L’homme doit vivre sa journée, concède-t-il dans un «fragment», mais son esprit et son cœur se reportent toujours à un ailleurs, à un autre temps, et à d’autres lieux, car nul temps ne s’épuise vraiment et nul lieu ne suffit à l’homme qui vit».
Il serait vain, sans doute, de chercher un thème particulier dans cette livraison de «fragments», mais Beuchat y évoque plusieurs figures féminines comme autant d’apparitions, des jeunes filles plutôt que des mères. Les bonheurs de l’auteur sont des images fugaces et précises devenues inoubliables comme cette «très belle femme sortant avec élégance d’un coupé Borgward Isabelle de couleur blanche». Aussi quelques «jolies jeunes dames» du temps de son «carnaval», entre 1973 et 1980 précise-t-il, surpris d’avoir «survécu à cela, un peu vivant et un peu mort». La joie de ce «carnaval» a des accents très particuliers, typiques de Beuchat, comme cette «gaieté subite, mais qui résonnait comme le glas». Des sujets «lourds» comme la mort, la solitude ou sa «vieille douleur fatidique» jalonnent son œuvre, mais les mots dansent toujours sur les constats désolés.
Il y a quelque chose de Walser chez Beuchat, une attention méticuleuse aux petites choses de l’existence et un retrait du monde assumé et joyeusement mélancolique. Même les passages déprimants y ont un petit air joyeux: «Car je suis fatigué par le bruit des années, plus durable qu’une mouche, ou qu’un petit papillon jaune. Je dure trop, c’est ma peine, mea culpa! Coucou!»
Genre Fragments
Auteur François Beuchat
Titre Les heures bleues
Editeur d’autre part
Pages 142 p.
3 étoiles