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François Bon, Martin Winckler, écrivains militants d’Internet

François Bon et Martin Winckler ont développé une conception militante et didactique de l’écriture: la parole est à tous et leur travail à eux est d’aider les autres à s’en emparer.

Il y a bien des raisons de réunir François Bon et Martin Winckler. Nés tous deux vers 1950, ils ont développé une conception militante et didactique de l’écriture: la parole est à tous et leur travail à eux est d’aider les autres à s’en emparer. C’est leur métier, qu’ils exercent à travers toutes sortes de supports: romans, essais, autobiographie, chroniques, ateliers d’écriture, émissions de radio, lectures publiques, performances, conférences, édition, scénarios, théâtre. Internet a démultiplié cette production impressionnante: ils ont chacun leur site, leurs blogs (où parfois ils dialoguent), leurs écrits en ligne.

Les ateliers de François Bon

Depuis la parution de Sortie d’usine chez Minuit en 1982, François Bon n’a cessé de travailler à restituer une parole à ceux qui ne peuvent pas se faire entendre. Pour dire le chantier, le chômage, l’usine, la banlieue, la précarité, la solitude, la colère. Dans ses romans publiés chez Minuit, il travaillait sa langue pour trouver un rythme, une musique. Chez Verdier, il publiait des écrits plus dépouillés, plus intimes. Il a commencé à pratiquer des ateliers d’écriture: avec des détenus, des SDF, des étudiants. Ces textes ont été parfois réunis en livres (Tous les mots sont adultes, Fayard, 2000). En 1996, précurseur, il ouvre son site, www.remue.net, qui devient une plate-forme d’échanges et de production de textes (www.publie.net). En 2001, submergé par le travail supplémentaire qu’engendrent ces échanges, il le remet à un collectif composé pour beaucoup d’écrivains. Et crée www.tiers.livre.net, son site personnel: on y trouve son journal, des textes en cours, les écrits de ses amis, des comptes rendus de lecture, des publications en ligne qu’on peut télécharger. François Bon est un des pionniers de l’édition numérique. Son site est une mine de renseignements et de réflexions sur l’évolution des nouvelles techniques (livre électronique, droits d’auteur). Par ailleurs, il continue à publier des livres: Daewoo (2004), qui reprend des entretiens avec les ouvrières de l’usine abandonnée; les monumentales biographies des Rolling Stones, de Led Zeppelin, de Bob Dylan, qui sont autant d’autobiographies. Cet automne, en résidence au Québec, il publie L’Incendie du Hilton (Albin Michel): quatre heures de lecture pour raconter les quatre heures qu’a duré l’alarme dans son hôtel de Montréal en 2008.

Les séries de Martin Winckler

Documenter son propre travail, permettre aux autres de s’exprimer, c’est aussi le propos de son ami Martin Winckler. Après un livre sur l’avortement, La Vacation, ce médecin généraliste s’est fait connaître avec La Maladie de Sachs (P.O.L, 1998). Sachs est un praticien en colère contre la médecine technologique des mandarins, un «soignant» qui écoute les malades, une sorte de saint laïc. Le succès a été énorme. Depuis, Martin Winckler a publié plusieurs ouvrages autobiographiques, des romans et des polars qui tournent tous autour de sa conception militante de la médecine (dont un roman en ligne). Il donne par ailleurs des conseils sur le site Passeport Santé. Militant de l’écriture aussi: sur son site littéraire, Le Chevalier des Touches, il tient un blog pour écrivants, où l’on trouve des exercices, des textes personnels et son journal: «Ecrire, ça n’est pas une activité magique, c’est un travail», dit ce spécialiste des séries américaines.

Martin Winckler maîtrise parfaitement les techniques du feuilleton. Son dernier livre, Le Chœur des femmes (P.O.L), met en scène un collègue de Sachs, le docteur Karma, dans un service de gynécologie, à Tourmens (où se passent tous ses livres). L’aura de ce bon Karma agira sur l’interne Jean Atwood, saura briser sa carapace et le convertir à la bonne médecine. Karma est aussi irritant, avec sa bonne conscience et sa bienveillance, que Sachs et Winckler lui-même. Aussi touchant et convaincant. Et ça marche, même si c’est terriblement bavard: on avale les six cents pages de témoignages de femmes, de combats quotidiens, de coups de théâtre, sans pouvoir s’arrêter, honteux de se retrouver les larmes aux yeux comme devant sa télé. Sachs et Karma, c’est le Dr House, cynisme en moins.