François Samuelson, le 007 de Michel Houellebecq
Livres
L’agent littéraire et artistique veille jalousement aux intérêts du romancier depuis près de vingt ans. Sans états d’âme

Imprimé à 320 000 exemplaires, le nouveau roman de Michel Houellebecq, Sérotonine (Flammarion), trônera sur les étals des libraires dès ce vendredi. Figure tutélaire du romancier, François Samuelson, son agent depuis près de vingt ans, l’a mis en garde avant la publication: «Vous allez avoir les féministes sur le dos!» L’auteur de Soumission, rompu à l’art de la provocation, a rétorqué: «Elles sont moins dangereuses que les islamistes!»
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A la tête d’Intertalent, François Samuelson s’est imposé comme agent double – à la fois artistique et littéraire –, le seul en France à veiller aux intérêts d’une liste prestigieuse d’auteurs, dont Frédéric Beigbeder, Virginie Despentes, Philippe Djian, Olivier Adam, Véronique Olmi, Fred Vargas… mais aussi de vedettes du cinéma, comme Juliette Binoche et Sabine Azéma, ainsi que de réalisateurs de la trempe d’Olivier Assayas, Claire Denis, Michael Haneke, Mia Hansen-Love ou Roman Polanski.
Mère poule
Comme tous les agents, il négocie et touche 10% sur tous les contrats. Ce qui englobe, dans le cas de Michel Houellebecq, l’édition, les droits numériques et audiovisuels et les cachets d’acteur. Mi-décembre, le romancier jouait avec Gérard Depardieu à Cabourg (Calvados). Il campait un client d’un centre de thalassothérapie dans C’est extra, de Guillaume Nicloux. L’éditrice de Michel Houellebecq, Teresa Cremisi, gère quant à elle tous les droits étrangers, déclinés en… 42 langues. «C’est le maximum, comme la Bible», s’exclame-t-elle.
François Samuelson a-t-il inspiré le rôle joué par Thibault de Montalembert dans la série de Fanny Herrero Dix pour cent? En réalité, le personnage se révèle bien plus flamboyant, complexe et tranchant que celui de la fiction. Un étonnant Dr. Jekyll et Mr. Hyde. Il veille «comme une mère poule sur ses troupes», affirme Olivier Assayas, mais négocie avec une dureté rarement égalée dans les affaires.
Pour Juliette Binoche, François Samuelson joue un rôle de «protecteur pour les artistes». Elle loue sa «fidélité» et ses qualités d’écoute. Mia Hansen-Love le confirme: «J’ai besoin de quelqu’un de fort, de solide, d’un peu paternel, dont j’apprécie l’intelligence. Il collabore aussi avec des gens dont j’estime le travail.» «François Samuelson peut être un ours mal léché», tempère Teresa Cremisi, qui travaille en bonne intelligence avec lui. Au point de chanter en duo L’été indien, de Joe Dassin, au mariage de Michel Houellebecq…
Des chiffres et des lettres
Avec François Samuelson, c’est donc tout ou rien. D’une dévotion absolue pour ses artistes, il défend leurs intérêts – et, partant, les siens – sans états d’âme, quitte à être teigneux. Sa formation mao-spontex – un mouvement post-68 qui se réclamait du maoïsme et de la révolution culturelle «spontanée», dont faisait partie le cofondateur de Libération Serge July, un ami de longue date – n’y est pas étrangère.
«François Samuelson a été le premier agent littéraire en France. Quelqu’un de très pro, mais extrêmement dur, peu soucieux à ses débuts de l’équilibre financier des éditeurs», souligne son ami Olivier Nora, PDG de Grasset. L’agent traîne alors la fâcheuse réputation d’être plus intéressé par les chiffres que par les lettres. «Dans le milieu parisien de l’édition, où tout est feutré et hypocrite, ses rapports frontaux, voire brutaux, avec les éditeurs détonnent», ajoute Olivier Nora, qui admet avoir eu avec lui «des relations assez sportives, même si, aujourd’hui, cela s’est beaucoup apaisé».
«Pour certains, c’est un monstre»
Bon nombre d’auteurs se damneraient pour rejoindre son écurie. Lui va chercher ceux qui l’intéressent. «Il a beaucoup fragilisé certains confrères en présidant au «transfert» d’auteurs emblématiques de leur catalogue: Philippe Djian de Julliard à Gallimard, Fred Vargas de Viviane Hamy à Flammarion. Pour certains, c’est un monstre, l’antéchrist, le bad cop, reprend Olivier Nora. D’autres conflits plus ou moins musclés ont opposé directement l’agent à Thomas Langmann ou Tahar Ben Jelloun.
Les producteurs lui reprochent une forme de brutalité. Ça ne l’a jamais gêné
L’arrivée des agents littéraires dans l’édition était considérée «comme l’une des dix plaies d’Egypte», se remémore un éditeur. Dans le cinéma, cette profession a toujours été la norme. Ce qui n’empêche pas les critiques à l’encontre du patron d’Intertalent. «Les producteurs lui reprochent une forme de brutalité. Ça ne l’a jamais gêné», déclare Mia Hansen-Love.
«Certains ont pu avoir le sentiment d’être bizutés par François Samuelson. Il y a presque toujours un moment où ça grince avec les producteurs», poursuit Olivier Assayas, qui voit en lui «un frère, jamais avare de son temps». «Il a pu exagérer parfois, mais il s’est assagi», assure Juliette Binoche. Alors, sa carapace n’est-elle qu’un rôle de composition? «François Samuelson est un esprit curieux, bien plus intelligent et cultivé qu’il ne s’en donne l’air», observe Olivier Nora.
Chez les jésuites
Fils d’armateur, François Samuelson est né le 29 mars 1952 à Alexandrie, en Egypte. La famille mène grand train jusqu’à la crise du canal de Suez. Elle se trouve alors dans l’obligation de plier bagage en urgence, en étant dépossédée de tous ses biens. «J’ai 4 ans quand nous prenons le bateau», se souvient-il. A Paris, son père ne se remettra pas de cet exil et meurt à l’âge de 52 ans. Orphelin à 8 ans, François a un petit frère de 1 an. Polyglotte, leur mère se résout à «trouver un job de nuit au standard de l’hôtel chic de l’aéroport d’Orly», raconte-t-il.
Placé en pension chez les jésuites de Saint-François-de-Sales à Evreux (Eure), le garçon y découvre, outre la discipline et la messe tous les matins, le bonheur de la lecture et des émissions de rock écoutées en catimini à la radio. De retour à Chevilly-Larue (Val-de-Marne), il ne brille guère dans ses études et change d’école chaque année. Bien plus actif lors des événements de 1968 qu’il n’est assidu au lycée Romain-Rolland d’Ivry-sur-Seine, il en est expulsé à 17 ans, en 1969.
Espoir d’une entrevue avec Truman Capote
L’Université de Vincennes, qui accueille les non-bacheliers, lui permet de décrocher une licence de géographie et une maîtrise d’histoire. Il retrace, dans Il était une fois Libé… (Seuil, 1979), la saga liée à la naissance du quotidien, en se livrant à une passionnante analyse de «la fourmilière gauchiste».
S’ensuit une carrière éclair de journaliste, dont il reste un entretien avec Marguerite Yourcenar, publié dans Le Figaro magazine en 1980, et un reportage sur l’île de Pâques, dans Playboy. Espérant une entrevue avec Truman Capote, François Samuelson rencontre l’agent littéraire Alan Schwartz, à New York. Lors d’un déjeuner, ce dernier lui explique son métier. «Je m’occupe des affaires de Truman Capote. Quand il y a des emmerdeurs comme vous, c’est sur moi que ça retombe.» Le voilà prévenu.
Le virus américain le saisit et le jeune homme convainc le Ministère de la culture de créer un Bureau du livre français à New York, qu’il dirige de 1981 à 1987. Il y cède les droits de 210 romans hexagonaux, remportant un succès indéniable pour La vie mode d’emploi, de Georges Perec. Marié à une femme sculptrice, Annie, François Samuelson tente, de retour à Paris, de devenir éditeur, mais ses efforts pour relancer Payot se révèlent peu concluants. «Mieux vaut faire ce qu’on sait faire», tranche-t-il. De 1988 à 1993, il devient le premier agent littéraire français, au sein de la plus grande agence artistique de Paris, Artmedia, dirigée par le très urbain Bertrand de Labbey.
«Créer des liens qui n’existaient pas»
Intellectuel, «Anglo-Saxon de service» selon ses propres termes, François Samuelson élargit sa palette au cinéma avec Philippe Garrel et Alain Resnais. Juliette Binoche sera «sa» première comédienne. «Elle voulait travailler aux Etats-Unis», se rappelle-t-il. Vingt-sept ans et un Oscar plus tard, il la représente toujours. Les autres actrices – Isabelle Adjani, Jeanne Moreau, Sandrine Bonnaire, Carole Bouquet – ne sont pas restées. «Comme les pigeons, ça s’envole…»
François Samuelson s’envole aussi pour créer sa propre agence avec Laurent Grégoire, qui la quittera. «Je suis aujourd’hui l’agent le plus titré, confie-t-il sans modestie. Un Goncourt (Michel Houellebecq pour La carte et le territoire), deux Palmes d’or (Le ruban blanc et Amour, de Michael Haneke), deux Oscars (Juliette Binoche pour Le patient anglais et Amour, de Michael Haneke).» Pour Serge July, «son coup de génie consiste à créer des liens qui n’existaient pas, entre un livre et un cinéaste».
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Peu disert sur sa vie privée, François Samuelson, qui confesse une admiration sans borne pour L’idiot, de Dostoïevski, a deux fils: le premier est «un «dealer» de drogue à Los Angeles, qui travaille dans l’industrie pharmaceutique du cannabis»; le second poursuit des études dans le jeu vidéo.
L’agent, qui, au dire de l’un de ses amis, «s’est engueulé avec tous ses partenaires», travaille seul. Intertalent, situé dans le Ve arrondissement de Paris, ne compte que trois salariés, mais affichait un coquet chiffre d’affaires de 1,6 million d’euros l’an dernier.