Une fois de plus, le choix de l’Académie suédoise se teinte de politique, se tourne vers le passé et déjoue les pronostics. On croyait, après une longue série d’écrivains européens, venu le tour d’un Américain, d’un Asiatique, d’un Africain ou d’un Oriental. Le Nobel replonge en plein centre de l’Europe et retourne au cœur de son histoire.
Il y a dix ans, la première décennie après la chute du mur avait déjà été saluée par le couronnement d’un écrivain allemand, Günther Grass, lequel s’est dit «impressionné et très content» pour Herta Müller. Cette fois, c’est une femme, une femme venue de l’Est et très engagée politiquement, qui marque ce vingtième anniversaire.
«C’est un choix, fait remarquer Peter Utz, professeur d’allemand à l’Université de Lausanne, qui s’inscrit dans la ligne du prix Nobel décerné à l’Autrichienne Elfriede Jelinek en 2004. Elle est presque de la même génération, souligne-t-il. Et tout comme pour Elfriede Jelinek, l’Académie suédoise a fait preuve d’audace et d’un sens un peu politique en choisissant de nouveau une femme, habitée par un fort esprit d’opposition».
Peter Utz, qui se réjouit du choix d’un écrivain de langue allemande, n’en est pas moins «surpris» par celui d’Herta Müller. «Elle possède une œuvre assez importante mais qui reste centrée sur une obsession: la Roumanie stalinienne. Cela dit, cela lui confère une extrême cohérence.» Il note également la «qualité d’une écriture, forgée dans un contexte très particulier». Dans ce sens, dit-il, on pourrait la comparer à une Agota Kristof.
Wilfred Schiltknecht, collaborateur régulier du Samedi culturel et spécialiste des lettres allemandes, souligne pour sa part «ses éclairs de poésie» et de citer cet extrait chantant de «Le renard était déjà chasseur» (Seuil, 1997): «Les jurons sont froids, les jurons n’ont pas besoin de dahlias, de pommes, ni d’été». Le critique souligne également, «le climat de suspicion qu’elle parvient à faire régner dans ses textes» qui se construisent, de manière fragmentaire, ce qui leur confère une force peu commune, estime-t-il. Il se souvient aussi d’une longue nuit de discussions partagée avec l’écrivain dans la vieille ville de Lausanne en 1988. «Elle était déjà, à ce moment-là, dit-il, obsédée par la politique. Le thème général de son œuvre continue-t-il, outre sa terre natale dont elle est le chantre, c’est la souffrance des opprimés.»
Contrairement aux Suédois qui ont accès dans leur langue à huit des dix-neuf titres publiés en allemand par Herta Müller, les francophones ne la connaissent que par trois textes, «L’homme est un grand faisan sur terre», (Maren Sell, 1988), «Le renard était déjà le chasseur», (Seuil, 1997) et «La Convocation», (Métaillé, 2001). Les anglophones et les hispanophones n’ont, eux aussi, que quatre textes du nouveau Prix Nobel de littérature à leur disposition.