Le hockey, instrument de résilience
Roman
Dans un récit de réappropriation, Richard Wagamese, auteur amérindien du Canada, raconte le salut par le «jeu blanc»

Au Canada, depuis le début du XIXe siècle, et jusque dans les années 1970, des enfants indiens furent enlevés à leurs familles et enfermés dans des pensionnats tenus par des religieux, dans le but de les assimiler et de les christianiser. Les conditions de vie étaient terribles, les brimades et les abus ont brisé de nombreux enfants, il y a eu des suicides, des morts. Le gouvernement du Canada a présenté récemment ses excuses mais les dégâts humains sont irréparables.
Saul Indian Horse fut l’un de ces gamins, dans les années 1960. C’est son récit que nous lisons, en ouvrant Jeux blanc de Richard Wagamese. Il se trouve alors à New Dawn, un établissement de soins, pour se défaire de son alcoolisme, mal endémique des indigènes déracinés. Pour atteindre cette «nouvelle aurore», il doit raconter son histoire, lui disent des thérapeutes, «les yeux brillants humides et pleins d’espoir». Mais Saul, comme ceux de son peuple, les Ojibwés, ne se paie pas de mots. «J’en ai rien à foutre de tout ça», pense-t-il. Mais si ce récit peut le faire sortir plus vite, il va l’écrire.
Au fond des forêts de l’Ontario
Son enfance, qui aurait dû être celle, rude et bonne, d’un garçon indien, est assombrie par la disparition de son grand frère. Capturé et enfermé dans un de ces pensionnats, Benjamin s’enfuit pour rejoindre le groupe, mais il a attrapé la tuberculose et meurt peu après. Pour fuir les blancs, la famille s’enfonce de plus en plus profond dans les forêts de l’Ontario. Mais à la mort du garçon, la mère et la tante de l’enfant, terrifiées par ce dieu vengeur dont on les a menacées, veulent un enterrement chrétien. Seuls restent, abandonnés loin de tout, Saul et sa grand-mère, celle qui lui a appris tout ce qu’il savait d’indien, une belle figure de résistance. Mais l’hiver arrive et eux aussi doivent se rendre à la ville. A l’arrivée, la vieille femme meurt de froid et d’épuisement. Sans famille, le garçon finit à son tour dans une de ces écoles. Il aurait pu fuir, se tuer ou s’éteindre intérieurement, comme tant de ses camarades.
Quand je suis né, nous étions encore sous l’influence de nos légendes derrière nous. C’est une frontière que ma génération a franchie et nous languissons d’un retour qui n’a jamais pu se produire
Mais il aime lire, sait assez de zaunagush (l’anglais) pour se réfugier dans les histoires. Et surtout, il développe une passion pour le «jeu blanc», le hockey sur glace. Trop petit pour jouer, il obtint d’un prêtre plus jeune, plus amical que les autres et sportif, le droit de nettoyer la patinoire sommaire.
Intelligent, observateur, doué d’une vraie vision, Saul apprend à lire le jeu, sur la glace ou à travers les mouvements des joueurs professionnels, sur la petite télévision du prêtre. Son exceptionnel talent lui permet de quitter l’école, d’être accueilli dans une famille indienne de hockeyeurs et peu à peu le petit garçon malingre devient une vedette locale grâce à sa rapidité et à son intelligence aiguë du jeu.
Jeu de Blancs
Mais le jour où son équipe commence à jouer contre des adversaires canadiens, il découvre que le beau «jeu blanc» est d’abord le jeu des Blancs et que ceux-ci ne sont pas prêts à le partager. Il veut bien se battre à l’occasion mais refuse de voir dégrader ce sport dans la violence. Un passage dans l’équipe nationale où son génie l’a fait admettre le confirme dans son repli. Devant les crachats du public et le mépris de ses coéquipiers, il abandonne le hockey. Il se replie dans la solitude, la lecture, le silence. Incapable de se fixer quelque part, d’entretenir une relation, il mène une vie nomade, et finit par céder à l’alcool. Au plus noir de son exil intérieur, il trouve quelques «anges» pour lui porter secours, mais à chaque fois il prend la fuite. Son errance finit à l’hôpital.
Enthousiasmant
Pour se sauver, il refait tout le parcours de sa dérive, en passant par sa famille d’accueil, l’école en ruines, la petite ville, le lac de son enfance, un voyage initiatique à rebours, aride, plein de douleur et de colère, libérateur. L’homme ose enfin affronter ce que l’enfant a vraiment subi et enfoui. Au bout du chemin, il retrouvera le jeu blanc, mais d’une autre façon. Il y a beaucoup d’autobiographie dans ce livre, comme dans toute l’œuvre de Richard Wagamese (1955-2017). S’il est un des native writers les plus connus au Canada, il est surtout un véritable écrivain. Sa force narrative, son sens poétique, son écriture dépouillée emportent l’enthousiasme, même chez ceux qui ne comprennent rien au hockey.
Richard Wagamese, «Jeu blanc», traduit de l’anglais (Canada) par Christine Raguet, Zoé, 256 p.