On peut d’abord objecter que le couple a son indatable originalité. La manière distante et affectueuse, sans grand verbiage, dont Mme appelle son mari «Maigret», comme un sigle. Même dans l’intimité, elle n’a pas la naïveté de croire qu’elle peut percer la carapace: elle la prend avec tout le reste, les absences à répétition, les détours par un bistrot en rentrant du cinéma le vendredi soir…
C’est réciproque: à aucun moment, Maigret ne cherche à changer Mme, ne conteste ses séjours dans son Alsace natale – même s’il en souffre, voir sa soirée de célibataire complètement paumé au début de Maigret au Picratt’s, durant laquelle il flotte vers un restaurant puis au cinéma sans jamais savoir quoi faire. Les deux (fortes) personnalités s’expriment même par la langue: Simenon n’écrit jamais «Madame Maigret», mais «Mme», comme un label comparable à celui de «Maigret».
Les contraires absolus
La magie de ce tandem tient dans cette réunion des contraires. Mme saisit des détails parlants dans la vie quotidienne comme Maigret ne sait les interpréter que durant ses enquêtes. Elle structure le couple, alors que Maigret en dépend. Elle est incapable de rester inactive une minute, tandis qu’il sait se rendre amorphe, et éponge, au service de son investigation du moment. Vieux couple, peut-être, mais si fort.
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