Genre: Essai
Qui ? Jacques Attali
Titre: Demain, qui gouvernera le monde?
Chez qui ? Fayard, 417 p.

Vif, lapidaire, didactique, curieux de tout, à l’affût des signaux de transformations économiques, sociétales et, à l’écume, politiques: Jacques Attali ne déçoit pas dans son dernier livre, Demain, qui gouvernera le monde? Retenons le point d’interrogation. L’auteur n’est pas devin, ni même futurologue. Il n’y aura pas de réponse définitive, pas de voie royale. Ceci est aussi la marque d’Attali: il a été, certes très discrètement dans le sillage de François Mitterrand, un «politicien», un homme qui connaît les lourdeurs des tractations, surtout au niveau international. Bref, un praticien et un pragmatique. Ou plus précisément un utopiste pragmatique.

Analyste des rapports de force, conscient de la force d’inertie des Etats, même des plus puissants qui ont déjà toutes les peines du monde à promouvoir leurs propres intérêts sur le long terme, ­Attali n’ose espérer qu’ils puissent tout à coup fédérer l’humanité face aux menaces globales qui la guettent, de la destruction des récifs coralliens à la multiplication des guerres en passant par la désintégration du système financier, la montée en puissance des mafias, les pénuries, les migrations incontrôlables, la prolifération des armes… Une résurgence de régimes dictatoriaux s’offrant en rempart contre une mondialisation ayant atteint un tel niveau de désordre pourrait aussi s’inscrire à l’agenda.

Jacques Attali fonde son analyse sur le passé, ce qui fait de la première moitié du livre un brillant résumé d’histoire universelle, sous l’angle de la constitution et de la désintégration des grands empires, puis, de manière moins brutale, sous celui des fortes hégémonies marchandes exercées par les cités de Bruges, Venise, Gênes, Amsterdam, Londres, enfin Boston, New York puis les villes de la côte Ouest des Etats-Unis. Mais pour lui, ce transfert du «cœur» du monde d’empire à empire, de cité à cité, de continent à continent, touche à sa fin, car «nulle puissance n’aura les moyens de prendre la direction du monde; aucun ne pourra en assumer le fardeau. Les Etats-Unis ne seront plus le gouvernement du monde. La Chine n’en aura jamais les moyens ni le désir. L’Europe non plus, ni le G20. Un G2 entre les Etats-Unis et la Chine se substituera progressivement à la toute-puissance des Etats-Unis tout en ne pouvant les remplacer ni gouverner le monde. Nul n’est capable de maîtriser les problèmes systémiques à venir.»

Il le faut pourtant. Il le faudrait. Et beaucoup en sont conscients. Il ne se passe pas de jour sans qu’une brique soit rajoutée au fragile édifice de la «gouvernance mondiale». Très précis, Jacques ­Attali dresse la liste des attributions et décortique les règles de fonctionnement des principales institutions internationales (et également des plus modestes, qui sont souvent plus efficaces) pour finir par constater qu’elles ne seront que d’un très maigre secours en cas de véritables coups durs. Un véritable «gouvernement mondial»? Beaucoup, et depuis l’Antiquité, l’ont en vain appelé de leurs vœux. Attali, lui, pense qu’il adviendra bientôt, mais le plus probablement au terme d’une période de chaos, et en réponse à celui-ci.

A moins d’un sursaut. A moins que, malgré les très fortes réticences des puissances, un gouvernement mondial «préventif» s’impose. Oh, pas d’un seul coup. Dans un premier temps, et c’est là Attali le pragmatique qui parle, on pourrait imaginer une transformation des institutions internationales, qui se verraient progressivement accorder, un peu sur le modèle de la construction européenne, des compétences véritablement supranationales. Ce serait un socle pour évoluer vers un modèle fédéraliste, respectueux de la diversité des populations.

Le modèle le plus pertinent lui semble être… la Suisse, dont les premiers cantons se sont coalisés pour faire face, précisément, à des menaces pressantes, celles que faisaient peser les visées hégémoniques des puissances voisines, en premier lieu l’Autriche. Jacques Attali décrit avec précision le fonctionnement de l’ancienne Confédération, avant de conclure que «le modèle suisse reste jusqu’à nos jours une référence pour un bon gouvernement du monde» et «pour une évolution pragmatique du monde». Attali omet de préciser qu’il a fallu plus de 500 ans pour que la Suisse devienne un Etat fédéral, forme de gouvernement qu’il souhaite à terme, mais dans un délai sans doute plus bref, pour la planète. Il retient surtout l’efficacité du «principe de subsidiarité», qui ne délègue au niveau supérieur que ce qui ne peut être résolu efficacement aux niveaux inférieurs. A terme, dans une de ses pages à tonalité ésotérique ou goguenarde qui font aussi son charme, ­Jacques Attali imagine à la tête du monde un «heptavirat», conseil de sept membres élus pour sept ans, sans possibilité de réélection. Ces sages seraient garants des intérêts de l’espèce humaine et ambassadeurs de l’intérêt général. Il précise que «la présidence de l’heptavirat sera annuelle et tournante».

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Extrait

«Le marché devient mondial sans que s’instaure une règle de droit mondiale, encore moins une démocratie planétaire»