Sur la quatrième de couverture, il est dit que Joël Dicker, l’auteur, est né en 1985 à Genève. Il n’est pas un inconnu puisqu’il a écrit un roman avant celui-là, Les Derniers Jours de nos pères (voir LT du 27.01.2012), édité, déjà, par L’Age d’Homme et de Fallois (Prix des écrivains genevois 2010), qui avait pour cadre le peu connu Special Operation Executive, le SOE, créé par Winston Churchill en 1940 pour mener des opérations de sabotage dans les pays occupés par l’Allemagne. On y suit dans l’épreuve un groupe de jeunes Français volontaires pour agir en France au nom de la Couronne.
Un premier roman historique, très documenté et haletant, déjà, ce n’est pas banal. Et maintenant, un page-turner à l’américaine. Un livre à la structure qui ébouriffe, mais limpide, imparable. Qui se passe entièrement aux Etats-Unis. Dans une petite ville du Maine, Aurora, et à New York. En 1975 et en 2008. Qui a pour héros deux écrivains, Harry Quebert, monstre sacré des lettres américaines, et Marcus Goldman, son fils spirituel, auteur d’un premier roman au succès phénoménal. Du jour au lendemain, Harry Quebert va tomber de son piédestal, rattrapé par une histoire de meurtre vieille de 35 ans. Des jardiniers ont déterré dans son jardin Nola Kellergan, 15 ans, assassinée en 1975. Marcus Goldman, taraudé par son éditeur qui attend le deuxième livre de son poulain, va enquêter pour laver l’honneur de son maître. Sur cette trame policière se greffent une peinture de l’Amérique intime, vue du Maine, une interrogation sur le métier d’écrire, le marché et le sentiment d’imposture, et, en pointillé, une méditation mélancolique sur l’amour.
Ce qui fait que lorsque l’on referme le livre, une question surgit, lancinante: mais qui est Joël Dicker? Qui est ce Genevois de 27 ans, auteur d’un livre étonnant, qui, cerise sur la pièce montée, se retrouve sélectionné pour le Prix Goncourt 2012?
Il a le sourire doux. Nous sommes sur une terrasse au bord du lac. L’après-midi est encore chaud. Joël Dicker se souvient du jour où il a donné son accord à l’éditeur pour envoyer le manuscrit de La Vérité sur l’affaire Harry Quebert à l’imprimerie. C’était le lundi 6 août. «C’est un moment très difficile. Le roman vous quitte. C’est comme une rupture amoureuse. Un deuil commence. J’avais l’image de tous mes personnages, Harry, Marcus, Nola, le sergent Gahalowood, Jenny et tous les autres, qui montaient dans un bus, en bas de chez moi, devant ma fenêtre, et qui me faisaient des signes pour me dire au revoir. Je leur répondais par gestes. Puis je regardais le bus s’éloigner et disparaître…»
Fils d’un professeur de français et d’une libraire, Joël Dicker a travaillé deux ans sur le roman. Pour gagner sa vie, il était attaché parlementaire à l’Assemblée constituante genevoise. A l’époque, en 2010, il venait tout juste de terminer ses études de droit. «Je voyais mes amis entamer des stages d’avocat et gagner déjà bien leur vie. Il a fallu que je choisisse. Pouvoir m’amuser moi aussi ou écrire le livre que je voulais écrire? J’ai choisi de préparer les sandwichs pour les parlementaires.»
Ce choix vient de beaucoup plus loin. Du soir où, à 9 ans, il a terminé, à la lampe de poche et dans les larmes, la lecture du Dernier Loup d’Irlande d’Elona Malterre. Du jour où son grand-père, quelques jours avant de mourir, lui a donné son livre de chevet, tout écorné et annoté, La Gloire du Polonais Janusz Korczak. Et de la découverte, à 11 ans, que la littérature pouvait contenir des choses peu orthodoxes, comme les gros mots. «Je voulais ardemment un chien et mes parents n’arrêtaient pas de me dire qu’il fallait que je lise Gros-Câlin de Romain Gary où le personnage s’éprend d’un python. Ça m’ennuyait d’avance, mais, un jour, je tombe sur le livre chez ma grand-mère et, à la page 57, je vois le mot «pute». Là, j’ai compris que la littérature ouvrait sur des champs que je n’imaginais pas.»
On avance. Lecteur passionné, Joël Dicker se met vite à écrire des histoires, fonde une revue, La Gazette des animaux , qu’il réalisera et vendra seul de 11 à 17 ans. Il écrit une première nouvelle, «Le tigre», qui sera lauréate du Prix international des jeunes auteurs en 2005 et éditée dans ce cadre par les Editions de l’Hèbe. «Le livre était disponible chez Payot. Payot! C’était phénoménal pour moi. Je me retrouvais du côté de ceux qui racontent des histoires.» A côté de ses études de droit, mollement suivies, il se met à écrire un roman par an. Les Derniers Jours de nos pères est le premier à retenir l’attention d’un éditeur, Vladimir Dimitrijevic de L’Age d’Homme.
Bien. Il faut encore creuser plus loin pour comprendre comment Joël Dicker a pu se lancer le pari fou d’écrire un thriller à l’américaine. «Je voulais m’essayer à cette longueur. Ecrire un gros livre qui se lise vite mais que l’on n’a pas envie de terminer. Un livre qui impose un souffle. Un seul souffle.» Et les Etats-Unis? Joël Dicker y a passé enfant toutes ses grandes vacances. Le grand-père Dicker, avocat socialiste russe, a émigré à Genève au début du XXe siècle. Une autre branche de la famille a choisi Washington. Et Stunington, en été, dans le Maine.
«Stunington pendant l’année est un bled de pêcheurs. En été, il se transforme complètement. Toute l’intelligentsia de la côte Est s’y retrouve, peint, écrit. On fait d’immenses trajets en voiture là-bas. Je regardais les paysages défiler par la fenêtre et je faisais des plans sur la comète, ceux que l’on peut faire enfant.»
Ecrire un roman qui se passe aux Etats-Unis se révèle donc une évidence. Mais que les personnages soient eux-mêmes Américains n’a pas été un choix facile. Comment être crédible? «J’avais très peur de ne pas l’être. J’ai essayé d’imaginer un personnage français qui se rendrait aux Etats-Unis, mais ça ne marchait pas. J’ai été voir comment Romain Gary s’en était tiré avec Chien blanc qui se passe en partie aux Etats-Unis. Il l’a écrit en anglais puis l’a traduit lui-même en français. Ça ne m’aidait pas… J’ai finalement décidé, avec beaucoup de peur, d’écrire comme si j’étais Américain.»
On aimerait savoir encore comment il a préparé le plan de La Vérité sur l’affaire Harry Quebert . Parce qu’il faut rédiger un plan tiré au cordeau pour un livre de près de 700 pages, une intrigue policière en plus, non? «Un plan?» Joël Dicker a l’air vraiment surpris. «Non, je n’ai jamais fait de plan. Je me suis lancé sans savoir où j’allais.» Et se retrouver sur la liste du Prix Goncourt, cela fait quoi? «J’ai fait un pacte avec mon éditeur: il ne doit rien me dire sur ce qu’il entend sur le Goncourt. Je ne veux rien savoir. Je veux rester concentrer sur mon travail. Ecrire.»
Marcus Goldman
Le jeune écrivain