«Le krach financier islandais de 2008? Quelle opportunité romanesque!»
roman
Le romancier islandais Einar Már Gudmundsson est l'un des lauréats du Prix Littérature-monde décerné au festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo. Entretien éclairant, dix ans après le krach financier qui mit son île à genoux

L'expression résume tout. Pour parler du rapport entre l'Islande et le krach financier de 2008 qui mit l'île à genoux sur le plan économique, Einar Már Gudmundsson évoque, en anglais, le risque de «social Alzheimer»: la perte maladive de mémoire. Son idée? «Nous ne sommes pas sortis du roman infernal de la crise» explique au Temps le lauréat du prix Littérature-monde pour Les rois d'Islande publié aux Editions Zulma. «Nous sommes une bonne illustration de la théorie de Karl Marx selon laquelle l'histoire se répète toujours, d'abord sous forme de tragédie, puis de comédie».
La réception d'ouverture du festival Etonnants Voyageurs, dans la cour de la mairie de la cité corsaire française de Saint-Malo, vient de s'achever. Einar Már Gudmundsson nous parle de son pays, des séquelles du krach financier et de la bulle touristique qui s'est emparée de l'île depuis quelques années, avec le vocabulaire d'un médecin des lettres.
Images de la crise
La crise? Les dérives des banques islandaises surendettées? L'afflux incontrôlé de capitaux sur ce rocher volcanique dans les années 90? «Une formidable opportunité romanesque», poursuit-il. «Le krach financier a démontré à la fois combien nous pouvions être stupides, en nous comportant comme des moutons durant les années de spéculation aveugle, puis combien nous pouvions être braves, lorsque la pression populaire a renversé le gouvernement et rejeté le sauvetage des banques victimes de leur propre avidité.»
Une analyse: Leçons financières d’Islande
L'économie n'est pas l'intrigue principale des Rois d'Islande. C'est une dynastie islandaise que le romancier a choisi de peindre. Les Knudsen sont une famille qui a produit de grands hommes. Mais chez ces vikings, marins et pécheurs de père en fils, la mondialisation de la finance a fini par triompher. Les carrières dans les banques ont happé les meilleurs. L'appât du gain s'est imposé. Une métaphore sociale, politique ciselée sur le plan littéraire, comme les aime Etonnants Voyageurs, ce festival crée en 1990 par Michel Le Bris et qui, chaque année, remet les littératures étrangères à l'honneur entre les remparts de Saint-Malo.
La crise pourrait-elle se reproduire?
«Il n'y a pas de meilleur sujet de roman que l'enfer», complète Einar Már Gudmundsson. «Or avec la crise financière, les Islandais ont foncé à pleine vitesse vers l'enfer économique. Nous avons tous vu changer notre pays, notre île, nos valeurs. L'Etat-providence que nous avions construit était dilapidé. Le système de santé était délaissé. Dix ans après, cela pourrait-il se reproduire? A priori, non. Mais malheureusement, oui.»
Une note de lecture en 1999: Einar Mar Gudmundsson, Les Anges de l'univers
Einar Már Gudmundsson s'avoue surtout fasciné, comme romancier, par ces murs que le mythe de l'argent facile avait fini, jusqu'au krach d'il y a dix ans, par construire dans chaque famille. «Nous vivions dans un conte de Hans Christian Andersen. Nous étions en chambre d'isolement capitaliste. Personne ne comprenait ce qui se passait vraiment, à commencer par les politiciens. Mais nous foncions tête baissée».
2008-2018: l'auteur, traduit dans de nombreuses langues et bien connu en Scandinavie, continue de s'interroger. Le flot de touristes qui se déferle depuis quelques années sur l'Islande, au point d'engendrer un boom des constructions d'hôtels en bord de mer, est selon lui «bien plus réel, bien plus concret» que le tsunami de transferts financiers opaques des années 90. Reste une même réalité: celle d'une bulle qui aggrave les inégalités, pousse les loyers vers des sommets, donne le tournis aux 300 000 Islandais. «L'instinct spéculatif est un formidable personnage de roman. L'originalité de l'Islande est d'apparaitre comme l'île où rien ne devrait se passer. Nous sommes si loin. Si petits. Et voilà que soudain, notre folie est décuplée».
Eruptions de volcans et de banques
Dans l'un des derniers romans, Dog Days, postérieur aux Rois d'Islande et pas encore traduit en français, Einar Már Gudmundsson s'empare d'une autre histoire: celle de l'Islande happée, à la fin du 18ème siècle, par la tempête révolutionnaire française. Le vent de la liberté, mais aussi celui de l'autoritarisme déferlent sur l'île alors paralysée, comme souvent, par l'éruption d'un de ses volcans.
Un parallèle avec l'autre éruption: celle de 2008-2010, lorsque les cendres des banques faillirent engloutir tout le territoire et sa population: «La force de la littérature est de relier ces différents moments. Nous pouvons, nous, romanciers, tirer les leçons de l'histoire sans blâmer, juste en racontant. Je ne sais pas qui devrait être blâmé pour la crise financière de 2008. Les politiciens en veulent aux banquiers qui en veulent aux politiciens, etc... Ce n'est pas le cœur du problème. Il n'y a pas une seule réponse. Notre dévoiement était collectif et il a, paradoxalement, il a abouti à la renaissance culturelle que nous vivons actuellement en Islande. Les musiciens n'y ont jamais autant crées. Les romanciers n'y ont jamais autant écrits. La littérature ne fige pas l'histoire du monde. Elle l'épouse et s'en nourrit.»
A lire également: Einar Már Gudmundsson dans «Nouvelles d'Islande», des éditions Magellan. Un passionnant aperçu des passions islandaises
Le festival Etonnants Voyageurs se poursuit jusqu'à lundi soir. L'autre lauréat du prix Littérature monde est le romancier sénégalais Mohamed Mbougar Sarr pour «Silence du choeur» (Ed. Présence Africaine). Le prix Kessel a pour sa part été décerné à Marc Dugain pour «Ils vont tuer Robert Kennedy» (Ed. Gallimard)