Mais il y a plus subtil et qui rend plus impossible encore une véritable quantification des capacités de lecture. Cela n’a d’ailleurs par échappé à Eric Chevillard qui, à l’occasion, a fait la remarque suivante: «Toute lecture bien comprise est d’ailleurs affaire de vitesse. Il suffit de trouver la bonne. Il en est une adaptée pour chaque écrivain qui sera fatale au lecteur s’il n’en change pas en s’engageant dans le livre d’un autre.»
Le livre bourbier, le livre toboggan
Voilà la principale raison de mes tergiversations. Tous les livres n’ont pas la même vitesse de lecture, en aucun cas. Chaque livre est comparable à un terrain, à une route peut-être dont le revêtement est plus ou moins fluide. Certains sont de vrais bourbiers, même si leur argile est fine et précieuse, vous avancez doucement, vous vous harassez. Il faut progresser pas à pas, incroyablement lentement. D’autres vous invitent sans cesse à la flânerie. Vous lisez un paragraphe et hop, vous vous arrêtez pour réfléchir, pour contempler le paysage, prendre une note, ouvrir un autre livre. De halte en halte, vous avez beau cavaler entre les pages, vous avancez aussi gaiement que lentement.
D’autres livres ont des allures de toboggans. Ils vous happent, vous attirent irrésistiblement vers la fin, vous font accélérer terriblement, quitte à vous priver de toute impression au passage, mais qu’importe, il faut conclure. Attention aux excès de vitesse. D’autres encore, vous promènent tranquillement, déroulent leur petite musique comme une promenade en calèche au bois de Boulogne, un cattleya à la boutonnière. Bref, la vitesse de lecture possède d’infinies variations.
Ceci dit, je n’ai encore jamais rencontré de livre parfaitement immobile. Seul le cahier blanc, ou le livre sous blister, est à même de vous procurer cette sensation. On comprendra dès lors à quel point la réponse à la question – combien de livres lisez-vous par semaine – est impossible. Mais là où la quantification pêche, on peut commencer à discuter, à rêver, à s’expliquer ce que les livres sont réellement.