C’est l’histoire d’un conseil communal et d’un petit village impressionnés par les billets alignés par les grandes industries bâloises de la chimie. L’argent, la cupidité mais aussi l’ignorance, le mensonge, l’intimidation et le poids des autorités allaient faire de l’une des plus grandes décharges chimiques de Suisse une bombe à retardement. Avec un risque majeur d’empoisonnement des nappes phréatiques et des affluents du Rhin.
C’était à Bonfol, localité de la région de Porrentruy proche de la frontière alsacienne. Mais, et c’est le mérite de l’enquête du journaliste José Ribeaudque de le démontrer, cela aurait aussi pu être Kölliken, en Argovie, Teuftal, dans le canton de Berne, non loin de la centrale nucléaire de Mühleberg, ou Pont-Rouge, sur la commune de Monthey en Valais, ou encore les rives du Rhône, en aval de l’usine Lonzade Viège.
Les dépotoirs et déversements toxiques qui menacent notre environnement et notre approvisionnement en eau sont le résultat d’années de laxisme, d’attitude désinvolte des scientifiques, de complicité passive du monde politique avec les dirigeants économiques et aussi de fascination pour la croissance économique.
Maudite Décharge, l e livre de l’ancien rédacteur en chef de La Libertésur la décharge de Bonfol, est à cet égard un acte d’accusation très documenté et très fouillé sur les quinze ans, de 1961 à 1975, pendant lesquels la chimie bâloise a réussi à déposer quelque 114 000 tonnes de déchets, en fûts et en vrac, sans aucun inventaire, dans une ancienne glaisière, sur la ligne de partage des eaux entre Rhin et Rhône. Archives, documents d’époque, témoignages et interviews des protagonistes constituent un remarquable travail d’enquête journalistique.
Le livre se lit aussi comme un roman. Celui d’un sursaut civique, après une lente prise de conscience des risques écologiques, surtout en France voisine, au fur et à mesure que la nappe polluée gagnait les ruisseaux alsaciens. Avec son héros, le ministre jurassien Pierre Kohler, obstiné, malin, un peu don Quichotte, culotté et sans manières. Il pouvait s’appuyer sur la solide expertise de deux scientifiques de renom, les géologues Marcos Buser et Walter Wildi. Il y a les carabiniers, toujours en retard, en l’occurrence les organisations écologistes comme Greenpeace, qui n’ont découvert le problème qu’après la décision d’assainissement prise par le gouvernement jurassien.
Et au final, une morale, celle de David, le petit canton du Jura faisant plier le Goliath de la chimie bâloise. Avec pour résultat l’un des plus grands chantiers de dépollution de Suisse, l’excavation et l’incinération de 114 000 tonnes de déchets et de 36 000 tonnes d’argile contaminée, pour un coût de 380 millions de francs. Le premier exemple en Suisse d’assainissement complet et définitif.
Mais le regard que porte José Ribeaud sur le sens de la responsabilité environnementale des grandes sociétés internationales est plus pessimiste: «L’explosion s’approche, mais personne ne veut désamorcer la bombe chimique.»