Et si le roi Jean Ier, mort cinq jours après sa naissance, avait survécu à la tentative d’assassinat qui le visait et avait grandi incognito en Toscane? Cette légende urbaine circulait dans la France du XIVe siècle, déchirée par la guerre de Cent Ans et les ravages de la peste noire. Au Moyen Age, les histoires de rois cachés n’étaient pas rares: en période de chaos dynastique surgissait un souverain providentiel et légitime qui allait chasser le tyran du trône et rétablir l’ordre des choses.

Le cas de Giannino Baglioni est peut-être le plus fascinant: honnête marchand toscan, prospère et reconnu dans sa communauté, il a près de 40 ans lorsqu’un beau jour il est convoqué au Capitole par le maître de Rome, Cola di Rienzo, un sénateur fantasque qui lui révèle sa vraie identité: il aurait été échangé au berceau et élevé dans une famille d’accueil en Toscane. Dès lors, le vrai Giannino, fils d’une nourrice Marie de Cressay et du marchand Guccio, serait mort à la place de Jean le Posthume, et lui-même serait ainsi un authentique roi capétien, petit-fils de Philippe le Bel!

Fièvre donquichottesque

Convaincu qu’un sang royal coule dans ses veines, Jean-Giannino se met à rédiger les preuves de son identité, développant une véritable industrie de faux documents, puis se met en quête d’alliés puissants. Pris d’une sorte de fièvre donquichottesque, il va jusqu’à quitter sa famille et dilapider sa fortune en vêtements fastueux et en voyages diplomatiques qui le mènent chez son (pseudo)cousin, le roi de Hongrie, et devant le pape en Avignon. Mais comme on s’en doute, la quête se révèle vertigineuse et insensée…

Récit fantasmé?

Les Mémoires de ce «roi-marchand», comme l’appelle Tommasso di Carpegna Falconieri, sont un document exceptionnel mais néanmoins suspect. C’est pourquoi l’auteur, après avoir résumé le récit tel qu’il nous est parvenu, se lance ensuite dans une enquête pointue sur la véracité des faits. Au fond, Giannino est-il de sang royal? A-t-il seulement existé?

Cruelle ironie

Véridique ou légendaire, le récit de Giannino résonne d’une cruelle ironie. Car l’homme qui se prenait pour le roi de France n’a rien d’un de ces «Napoléon renfrogné à bicorne» des asiles du XIXe siècle. L’échange au berceau reste plausible, et Giannino est animé d’un désir sincère de reconnaissance. Mais ce personnage picaresque est d’une indécrottable naïveté et son épopée s’achève avec une triste armée de semi-brigands qui ravagent inutilement une petite ville de Provence.

«Souverain mais pas chevalier», écrit Carpegna, Giannino n’a même pas participé à la bataille… Antihéros absolu, figure esquissée dans «Les Rois maudits de Maurice Druon», Giannino le perdant magnifique mériterait une saga historique à lui seul!


Tommaso di Carpegna Falconieri, «L’homme qui se prenait pour le roi de France». Traduit de l’italien par Colette Collomp, Tallandier, 288 p.