Marie Sizun remue ses origines suédoises
Livres
Au début, une tombe et des vieilles photos de famille jaunies, des êtres à la fois proches et fantomatiques. A la fin, un nouveau livre de Marie Sizun

De livre en livre, Marie Sizun creuse le même sillon, celui des identités brouillées, des tabous familiaux, des destins improbables et implacables. Elle enchante et ensorcelle les non-dits et les lieux enfouis dans la mémoire. Fausse débutante, elle a publié son premier roman, Le Père de la petite, à l’âge de 65 ans.
Dix ans plus tard paraît son 9e roman, La Gouvernante suédoise. Toujours le même entêtement de mouche tourniquant autour des personnages, une mouche bienveillante, fascinée, obsédée par la vérité et le mystère des êtres et l’importance des lieux, considérés comme les écrins des destins.
Fantasque
On retrouve dans La Gouvernante suédoise quelques constantes des romans de Marie Sizun, une mère fantasque et déséquilibrée, un père insaisissable et fuyant et des enfants coincés dans un huis clos familial. Marie Sizun, qui porte à l’état civil un nom à consonance suédoise, imagine, à partir d’informations très fragmentaires, la vie et le destin de ses ancêtres franco-suédois, trois générations plus tôt. Après une sorte d’introduction bien accrochée dans le présent, le roman couvre une décennie en plein XIXe siècle, de 1867 à 1877, en trois lieux distincts, Göteborg, Stockholm et Meudon.
On y fait la connaissance d’un nobliau français, Léonard Sèzeneau, et de sa jeune épouse Hulda. Cet homme au profil flou, professeur de français vivotant de cours privés à Göteborg, abandonne son épouse anglaise, terne et revêche, et s’amourache d’une jeune fille de bonne famille qu’il ne tarde pas à engrosser, au grand dam de ses parents. Elle a 17 ans, il en a 40. Ils se marièrent et eurent quatre enfants. Aidé par son beau-père, le «professeur» quitte bientôt Göteborg, se métamorphose en homme d’affaires et s’installe à Stockholm, où la famille connaît une sorte d’âge d’or, de 1869 à 1874.
Après une brève période de bonheur, la jeune Hulda est totalement débordée par ses tâches de maîtresse de maison et par l’éducation de ses quatre enfants. Sa fragilité entraîne l’engagement d’une gouvernante, Livia, jeune femme instruite, fille d’un comédien tombé dans l’oubli. Elle ne se contentera pas de «gouverner» la maison (une cuisinière et deux bonnes), ni de veiller à l’éducation des enfants, mais deviendra encore l’amie de Hulda et l’amante clandestine du maître de maison. En 1874, les affaires de Sèzeneau semblent moins florissantes. La famille déménage en France et s’installe dans une maison bourgeoise, à Meudon, qui était alors un bourg provincial non loin de Paris.
Tempêtes
Les personnages de Marie Sizun vivent de multiples tempêtes émotionnelles sans jamais se départir de leur «costume social». Pas un instant ils ne sortent de leur rôle, même lorsque le bateau semble sur le point de couler. Le maître de maison et chef de famille, souvent absent, demeure résolument muet sur ses activités, n’en confie rien à personne, pas même à son épouse Hulda. Négligée, maltraitée, celle-ci ne sort jamais de son rôle d’épouse soucieuse du bonheur de son mari, toujours prête à approuver ses choix. Pour éviter le scandale, la gouvernante elle-même fait preuve d’une loyauté extrême lorsqu’elle se retrouve enceinte.
Assumant clandestinement cet enfant non désiré, fruit de ses amours clandestines avec le maître de maison, elle n’en révèle l’existence à personne, pas même au père. Elle s’éloignera provisoirement avant de revenir servir encore la famille Sèzeneau qui vit en vase clos à Meudon, sans relations, tristement enfermée dans sa prison dorée, dont ne sort que Léonard pour vaquer à ses mystérieuses affaires. Des non-dits, des tabous qui, peut-être, finissent par tuer Hulda…
Tout corsetés qu’ils apparaissent dans leur rôle social et familial, loin du monde contemporain, les personnages n’en sont pas moins poignants. Et cette histoire, dans le fond sordide, devient, par la grâce d’une écriture, profondément humaine et touchante.
Marie Sizun, La Gouvernante suédoise, Arléa, 307 p.