Le Temps: Comment avez-vous vu évoluer la thématique de l’écriture inclusive?

Marinette Matthey: Il y a une sorte de honte aujourd’hui à produire des textes uniquement masculins, dire que le masculin l’emporte sur le féminin n’est plus défendable. Les personnes qui continuent à ne pas tenir compte de ces problématiques posent question. Je me souviens de l’ancien règlement de l’Université de Neuchâtel, tout entier au masculin. Il y avait une note de bas de page au début: «le masculin a un sens générique, il vaut aussi pour le féminin». Ce n’est plus acceptable aujourd’hui. Mais tous les pouvoirs n’ont pas évolué. On m’a demandé de réécrire entièrement les statuts de l’Université de Grenoble, après sa fusion, en écriture dégenrée; j’ai été stupéfaite quand j’ai constaté à la lecture de Légifrance, qui fixe le cadre légal national, que tout avait été réécrit à l’ancienne!

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Tous les médias se posent des questions, quelques-uns ont franchi le pas au moins dans certains de leurs articles comme Slate, mais pourquoi n’y a-t-il pas de roman, d’œuvre littéraire en écriture inclusive? N’est-ce pas le signe qu’elle ne fonctionne pas?

L’écriture inclusive vise les questions de pouvoir dans la langue et concerne donc l’écriture des administrations, des organisations. Elle dévoile le fonctionnement de la langue et n’a rien à voir avec la littérature, son but est de faire prendre conscience des catégories: une langue dit des choses sur une société et sur une vision du monde. Ce serait bête d’appliquer l’écriture à la littérature.

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L’écriture inclusive fait parfois peur car on craint une écriture déformée, lourde, qui prend toute la place…

Utiliser l’écriture inclusive nous inclut dans la catégorie Féministes, cette minorité active qui apporte du désordre, souvent «chiante»… Mais il y a beaucoup de solutions pour démasculiniser en douceur la langue. Pensons aux couples de mots: quand je dis «enseignants» je ne l’oppose pas à «enseignantes», mais à «élèves». Je vois donc des femmes et des hommes quand je dis «enseignants». Mais je peux me pousser à écrire «enseignantes et enseignants» par militantisme. On peut utiliser l’accord de proximité, les mots épicènes, tourner autrement ses phrases, il y a beaucoup de choix. Il faut parvenir à un état de la langue plus ouvert et fluide, mobile, avec des choix possibles pour ses utilisateurs.

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