Portrait
Le linguiste a été nommé à la tête du Centre de dialectologie gallo-romane et d’étude du français régional de l’Université de Neuchâtel. Un passionné des accents et des mots locaux

«La première fois que j’ai entendu des collègues suisses me dire qu’ils aimaient jouer au fotte, je me suis dit: «Mais qu’est-ce que c’est que ce truc?» Ce truc, c’est le football tel qu’on le prononce dans certains coins de Suisse romande (Fribourg et Jura principalement), et c’est de ce genre de petites variations, marques d’un français disjoint, que Mathieu Avanzi a nourri tout à la fois son émerveillement et son parcours scientifique.
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— Mathieu Avanzi (@MathieuAvanzi) 27 octobre 2021
On connaît bien Mathieu Avanzi pour ses fameuses cartes lexicales, comme celle qui nous apprend que ce que nous appelons «crayon de papier» se nomme «crayon gris» dans le sud-est de la France, ou «crayon de bois» dans une zone qui s’étend grosso modo de Nantes à Bordeaux. A 40 ans à peine, il vient d’être nommé à la tête du Centre de dialectologie gallo-romane et d’étude du français régional de l’Université de Neuchâtel.
Manger du «poulé»
C’est une forme d’aboutissement académique, et c’est surtout pour lui le moyen de continuer de répondre à des questions qu’il se pose depuis longtemps. «J’ai grandi en Maurienne, explique-t-il quand on le rencontre un matin de février, au bar d’un grand hôtel avec vue imprenable sur le lac de Neuchâtel. Quand on allait rendre visite aux cousins de Grenoble, à une heure de voiture à peine de chez moi, je m’étonnais à chaque fois de leur manière de parler, qui n’était pas la même que la mienne: ils buvaient du lé, ils mangeaient du poulé, etc.» C’est vrai que c’est étonnant…
Cette impression augurale d’une langue française qui n’est jamais ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, a planté une graine dans l’esprit de Mathieu Avanzi. Il caresse un temps l’envie de devenir journaliste (quelle drôle d’idée), mais s’oriente finalement vers les sciences du langage à l’Université de Grenoble. C’est là qu’il découvre, fasciné, les champs de la linguistique historique (qui s’intéresse à l’évolution des langues) et des parlers régionaux.
Sa maîtrise en poche, il traverse la frontière et entre, à l’invitation de la linguiste Marie-José Béguelin, à l’UniNE pour y préparer une thèse de doctorat sur l’intonation du français, qu’il soutient en 2011. Il entame ensuite un tour d’Europe des universités qui le verra dispenser son savoir à Cambridge, Genève, Zurich, Louvain, Berne ou la Sorbonne avant de s’en retourner, plein d’usage et raison, à Neuchâtel en ce début d’année 2022.
«Ici, les conditions de travail sont excellentes: on a un bureau, des secrétaires, des moyens pour faire de la recherche, des cours à taille humaine, des étudiants motivés et de haut niveau.» Oui mais, la Sorbonne, tout de même? «C’est très difficile de donner un cours valable dans un amphi blindé avec 120 élèves dont certains sont assis sur les escaliers…»
A Neuchâtel, le but avoué de Mathieu Avanzi est de «dépoussiérer la dialectologie» pour la faire entrer de plain-pied dans les humanités numériques – son projet d’atlas sonore des français régionaux en est un exemple. Lui-même codeur, il tient à ce que ses étudiants apprennent à recueillir et à manipuler des datas dans le but d’accroître leurs compétences – une bonne chose pour leur avenir professionnel aussi.
Mais l’enseignement et la recherche ne sont qu’une partie de l’agenda de Mathieu Avanzi: l’autre pan, c’est celui d’une vulgarisation agile – par le biais des cartes, reprises à peu près partout, qu’on évoquait plus haut, et avec toute une série de livres, ainsi du récent Comme on dîne chez nous (Le Robert, 2021), répertoire de mets et de mots régionaux.
«On a longtemps considéré à tort le français comme une langue monolithique», poursuit-il. Montrer et faire comprendre en quoi il ne l’est pas, tel est peut-être le primum movens de l’engagement de Mathieu Avanzi. Il manifeste un agacement non simulé face à certaines expérimentations de l’écriture inclusive: «Je respecte bien entendu les enjeux, notamment en termes de représentation féminine, du point médian et je comprends son usage dans les formulaires et les documents administratifs; mais son emploi dans les textes longs ajoute inutilement de l’élitisme à la langue et va fatalement créer de l’insécurité linguistique au vu des compétences orthographiques des jeunes.»
De Gruyère ou du Québec?
Mais il défend avec ardeur la variabilité de notre langue commune face aux prétentions d’une doxa du parler juste dont on pourrait situer l’épicentre à l’intérieur du Périph. «Pour un Français, continue Mathieu Avanzi, il n’y a pas d’accent belge ou suisse, il n’y a que des accents non français. Je me souviens d’avoir fait écouter l’enregistrement d’une locutrice gruérienne à mes étudiants à Paris, ils ont cru qu’elle était québécoise…»
Le français est une mosaïque. C’est un ensemble d’éléments à la fois séparés et liés par le mastic de la contiguïté: on parle français, mais pas tout à fait de la même manière, à Montréal et à Bruxelles, à Saint-Ursanne et à Saint-Imier. C’est une dialectique qui articule la frontière à la porosité. D’ailleurs, conclut Mathieu Avanzi, «mon père est Savoyard. Mais quand il boit un verre, il attrape l’accent valaisan.»
Profil
1981 Naissance à Chambéry.
2004 Maîtrise en sciences du langage à l’Université de Grenoble.
2011 Thèse de doctorat (Université de Neuchâtel et Université Paris Nanterre).
2018 Maître de conférences à la Sorbonne.
2022 Professeur ordinaire à l’UniNE, Centre de dialectologie gallo-romane et d’étude du français régional.
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