Les esprits chagrins vous diront peut-être que Milena Agus écrit toujours le même livre. Ils n’ont pas tort. Mais creuser le même sillon n’est pas forcément un défaut. Souvent proches, parfois frères, les récits de l’écrivaine sarde ont le caractère universel des chansons populaires. Ils disent beaucoup en peu de mots. Parlent d’amour, de mort, de différence, de l’essentiel. On s’y glisse comme dans un lit de mousse tiède pour se laisser bercer par la brise des désirs. Découverte en 2007 avec Mal de pierres, l’auteure nous emmène cette fois-ci en Terres promises. Oui, au pluriel, car c’est bien connu, chacun a la sienne.

Lire également: Marion Cotillard atteinte de bovarysme

De la Sardaigne au continent et retour

Sculptée en phrases simples et lumineuses, cette saga familiale se déguste à petites bouchées, comme un pâté aigre-doux, ou comme un sorbet. Au premier abord, l’histoire semble banale. Elle commence en Sardaigne où la blonde Esther, qui rêve d’ailleurs, attend son fiancé Raffaele. Engagé volontaire, il est parti rejoindre la marine, non parce qu’il est fasciste mais parce qu’il veut «voir la mer». A son retour de la guerre, et après quelques hésitations, il finit par se marier avec sa promise et le couple s’en va vivre sur le continent. A Gênes, puis à Milan. Le début, pour Esther, d’un terrible désenchantement.

La naissance de sa fille – Felicita la bien nommée – lui rend provisoirement sa gaieté. C’est à cet enfant peu ordinaire et à son destin particulier que va rapidement s’attacher le récit. «Elle était toute dodue, pour ne pas dire boulotte, aussi friande de pâtes au pesto de Gênes que d’escalopes milanaises», écrit l’auteure. Et cette corpulence généreuse l’accompagnera toute sa vie. Cela ne l’empêche pas de séduire le pâle, triste, grand, maigre et mystérieux Pietro Maria, héritier de l’aristocratique famille des Sisternes. Revenue vivre en Sardaigne avec ses parents, Felicita, en effet, va au bout de ses désirs et de ses choix. Aussi, quand elle se retrouve enceinte, elle décide de garder l’enfant et de l’élever seule et malgré la proposition de mariage de son amant. Elle sait bien que ce dernier ne l’aime pas, qu’il n’arrive pas, «même en se forçant», à l’aimer.

L’enfant musicien

Le fruit de cet amour non partagé se nomme Gregorio. Et ceux qui connaissent Milena Agus le devinent. Ce fils, qui a hésité à naître, est l’enfant compliqué, rejeté par les autres et passionné de musique que l’on retrouve dans plusieurs de ses livres et qui – elle nous l’avait avoué – ressemble un peu à son propre fils devenu pianiste. On peut donc aussi imaginer que c’est à lui, indirectement, qu’elle rend hommage dans Terres promises quand elle écrit: «Qui n’a jamais vécu avec un musicien ignore que quand il joue, le plus misérable des logis se transforme et se soulève de terre comme un astronef pour voyager vers un monde parfait.»

D’autres figures attachantes et riches traversent ce roman. Et plusieurs villes aussi, dont Cagliari, ainsi que la magnifique plage du Poetto, une étendue de dunes blanches longue de 12 kilomètres où la mer vous accueille «comme elle accueille toutes les créatures égarées». Et où, peut-être, Felicita trouvera finalement l’amour. Peut-être, car Milena Agus aime les fins ouvertes. Et on lui en sait gré. Ses personnages et ses paysages continuent ainsi à nous accompagner bien après qu’on a tourné la dernière page.

Lire aussi: Un palais, de la vaisselle et des vues d’avion…


Milena Agus, «Terres promises», traduit de l’italien par Marianne Faurobert, Liana Levi, 175 p.