C’est un nouveau pavé dans la mare des défenseurs de la croissance verte que lance Guillaume Pitron, et une immense désillusion pour les partisans de la transition énergétique. Il y a quatre ans, Philippe Bihouix, spécialiste des ressources minières, nous mettait en garde (L’âge des low-tech, Seuil, 2014) contre le mirage des technologies «vertes», high-tech et autres green tech, supposées «sauver» la planète et la croissance. La guerre des métaux rares nous révèle aujourd’hui la face sombre de la transition énergétique.

Parviendra-t-on à remplacer notre système énergétique fondé sur l’utilisation d’énergies fossiles par un modèle faisant la part belle aux énergies renouvelables? La transition énergétique permettra-t-elle de réduire drastiquement notre consommation, de ralentir le rythme du changement climatique et de diminuer les tensions géopolitiques? Rien n’est moins sûr, démontre le journaliste, car le développement des énergies renouvelables repose sur la production de métaux rares dont l’exploitation est déjà en train de tourner au «cauchemar environnemental». Et que les réserves de ces minerais, déjà sous tension, sont en grande partie détenues par un seul pays, la Chine, raconte Guillaume Pitron, qui a enquêté pendant six ans dans une douzaine de pays sur ces ressources géologiques.

Pétrole du XXIe siècle

Surnommés le pétrole du XXIe siècle, les métaux rares devaient être le fer de lance de la troisième révolution énergétique. Ces ressources aux noms énigmatiques (béryllium, cobalt, germanium, graphite prométhium et terres rares, le plus précieux des métaux rares et qui surpasse tous les autres en performance, etc.), dont la consommation croît déjà au rythme de 3 à 5% par an, sont indispensables à la fabrication des éoliennes, panneaux solaires voltaïques et autres véhicules électriques.

La consommation de ces 86 métaux rares a explosé et ce n’est pas fini. Des études prédisent qu’à l’horizon 2030 la demande de germanium (cellules photovoltaïques) va doubler, celle de tantale (échangeurs de chaleur) quadrupler et le marché du cobalt (véhicules hybrides, aimants) être multiplié par 24.

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Des projections affolantes révèlent que pour «tenir la cadence de la lutte contre le réchauffement climatique» et réussir la transition énergétique, nous devrions extraire du sous-sol, en une génération, d’ici à 2050, «plus de minerais qu’au cours des 70 000 dernières années», souligne l’auteur, plutôt perplexe.

Au rythme actuel de production, les réserves d’une quinzaine de métaux rares seront épuisées en moins de cinquante ans. Et la pénurie est déjà annoncée, à court ou moyen terme, pour plusieurs d’entre eux, dont le vanadium, le dysprosium et le néodyme.

Kyrielle de produits chimiques

L’exploitation de ces métaux rares, dissimulés à faible concentration dans la croûte terrestre, génère une grande quantité de gaz à effet de serre, tant pour les extraire des mines que pour les raffiner puis les acheminer vers les lieux de production.

Les opérations de raffinage et de purification de ces minerais, qui nécessitent une kyrielle de produits chimiques et d’énormes quantités d’eau, sont, en outre, très polluantes et sources de nombreux problèmes sanitaires. A Baotou – Mongolie-Intérieure –, capitale mondiale de la production de terres rares, les cancers, les maladies vasculaires et l’hypertension explosent. En Chine, premier producteur mondial de métaux rares, 80% des eaux des puits souterrains sont désormais impropres à la consommation et 10% des terres arables sont contaminées par des métaux lourds. De quoi douter du dessein vertueux de la transition énergétique.

Autre problème géopolitique majeur inhérent aux métaux rares: c’est l’Empire du Milieu qui monopolise l’essentiel de ces ressources (95% des terres rares, 84% du tungstène et 71% du germanium…), qui sont devenues, pour lui, un formidable moyen de pression sur ses partenaires économiques.

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Pas de piste de sortie

Cette gigantesque partie de Monopoly, à l’échelle planétaire, visant à s’approprier les métaux rares est, aujourd’hui, en train de gagner le fond des mers et, depuis 2015, de s’étendre subrepticement à l’espace.

«Nous pensions nous affranchir des pénuries, des tensions et des crises créées par notre appétit de pétrole et de charbon; nous sommes en train de leur substituer un monde nouveau de pénuries, de tensions et de crises inédites», glisse, amer, Guillaume Pitron, qui, nous le regrettons, n’a pas tenté d’esquisser quelques pistes de sortie… à la situation d’impasse écologico-énergétique qu’il dessine.


Guillaume Pitron, «La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique», Les Liens qui libèrent, 296 p.