L’histoire ne démarre pas où Stieg Larsson l’avait laissée. L’idée de retrouver les héros de Millénium en gentil couple mal assorti mais qui plume les riches et les puissants et dénonce un système vérolé n’a pas survécu. En fait, Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander ne se sont pas revus depuis des lustres. Il faudra que le premier tombe sur un tuyau chaud bouillant pour que le fantôme de la seconde ressurgisse. Génie informatique ayant fait carrière à San Francisco, Frans Balder revient à Stockholm, sa ville natale, pour récupérer son fils. August est autiste et vit chez sa mère. Frans le récupère par culpabilité de ne pas s’en être occupé. S’il est de retour, c’est aussi pour fuir la Silicon Valley où il paranoïe et ne se sent plus en sécurité. Car le pro du code numérique planche sur un grand projet: un ordinateur quantique capable de reproduire l’efficacité du cerveau humain mais sans l’encombrement des sentiments et en plus rapide. Sauf que ses données ont été piratées et que la NSA, l’agence de renseignement américaine qui s’immisce partout, s’en mêle. C’est là que Lisbeth Salander entre en scène tandis que le lecteur commence à trouver le temps un peu long. On est à la page 85 et pour l’instant Ce qui ne me tue pas roule sur un tempo pépère qui manque de trépidation. Un tueur arrive. Deux balles dans une tête. Et la traque enfin commence.
Les romans de Stieg Larsson trahissaient quelques longueurs. Celui de David Lagercrantz aussi, qui veut sans doute trop bien faire, mais se perd en conjectures. Les difficultés de la presse face à la baisse des revenus publicitaires, les raisons biologiques du syndrome d’Asperger, le piratage informatique, la théorie de la gravitation, les retours biographiques des personnages pour éclairer ceux qui n’auraient pas lu les trois autres bouquins font que le roman avance en accordéon. Cela dit, il remplit aussi les trous laissés par le père de la série. Le pseudo de Wasp, la Guêpe, de Salander? David Lagercrantz a imaginé son origine en puisant dans la culture geek. Mais comme celle de Larsson, son écriture ne brille pas par son flamboiement. Ici, la version n’est pas celle rédigée en langue Ikea. La traductriceHege Roel-Rousson avait d’ailleurs prévenu (lire LTdu 21.08.2015), le Suédois use volontiers de la répétition. Elle s’est attelée à les réduire au maximum. Ce qui donne malgré tout un style un peu plat qui contribue au manque de peps de l’ensemble.
Alors oui bien sûr, il faut juger ce quatrième Millénium comme le premier de son nouveau porte-bannière. Difficile pourtant d’éluder totalement les autres livres de la série. Il lui manque le côté glauque de cette Suède des gangs et des politiciens véreux où l’ultraviolence se planque aussi bien dans les familles patrimoniales du royaume que chez les agents des services sociaux. Cette touche crasseuse qui donnait cette couleur particulière aux romans de Stieg Larsson. Et qui font de cet opus plus court que les précédents (Millénium 3 cumulait 711 pages) une suite assez juste, mais trop sage. Reste bien sûr au cœur de l’intrigue tout l’aspect technologique qui faisait le sel de la saga. Mais là aussi les choses changent. Davantage roman d’espionnage tendance cybercriminel que polar polaire, Millénium prend un nouveau tournant.
Ce qui ne me tue pas, David Lagercrantz, Actes Sud, coll. Actes noirs, 496 pages.
On est à la page 85 et pour l’instant «Ce qui ne me tue pas» roule sur un tempo pépère qui manque de trépidation