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Journaliste à «Libération», Alain Pacadis a recensé durant un an la déferlante punk en France en s’immergeant corps et âme dans toutes ses manifestations. Une frénésie qui lui sera fatale

Voici enfin réédité le journal qu’a tenu, de septembre 1976 à octobre 1977, Alain Pacadis, journaliste, chroniqueur à Libération et figure incontournable des nuits parisiennes. 1976, c’est l’émergence en France du punk, qui est une musique, bien entendu, mais plus encore: une tenue vestimentaire, une philosophie, un véritable mode de vie. Alain Pacadis n’écrit pas en tant que journaliste mais bien comme témoin; il raconte de l’intérieur les concerts, les fêtes, la naissance des groupes, les premiers festivals dans des banlieues perdues dont les habitants voient débarquer, stupéfaits, des centaines de jeunes hommes aux habits déchirés, aux cheveux teints, à l’allure dégingandée et à la mine blafarde.
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C’est une chronique quasi quotidienne de cette «contre-culture» exportée du monde anglo-saxon et qui déferle sur Paris en s’opposant à la fois à la morale bourgeoise et au mouvement hippie. Pour provoquer, on accroche des croix svastika sur son blouson, on vomit la non-violence, l’écologie, on glorifie le bitume et le bruit, le sexe débridé, on prône une vie furieuse et «sans futur».
Interviewé par Serge Gainsbourg
Chauve-souris mondaine, Pacadis est de tous les concerts, de toutes les fêtes, de toutes les expositions, de tous les vernissages. Il boit, beaucoup, il se drogue – joints, speed, héroïne. Il croise et interviewe des figures légendaires ou sur le point de le devenir, les Clash, Patti Smith, Iggy Pop, Andy Warhol. Parfois, même, les rôles s’inversent, et, dans une scène incongrue, c’est Serge Gainsbourg qui fait l’interview du chroniqueur punk: on sent alors l’agacement du premier, et la jubilation du second.
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Les noms de groupes, de personnalités, de boîtes de nuit, de bars, de lieux dont la plupart ont disparu ou qui ne disent plus rien se succèdent, parfois jusqu’à la nausée, et nous plongent dans ce monde électrique et désormais englouti de la fin des années 1970. Dans un style à la fois soigné et volontairement trivial, Pacadis a l’art de scander cette vie de débauche, d’excès, d’émulations et de frivolités. Il poursuit – et c’est toute sa force – cette existence exténuante de dandy, avec une passion un peu inconsciente et une abnégation farouche. Il veut tout voir, tout entendre, toujours et partout, «en être» comme si son sort en dépendait.
Hantise de la solitude
Mais Un jeune homme chic, c’est aussi le journal d’un homme agaçant et désespéré, qui, sous des dehors de liberté absolue, s’asservit à la fête, à la drogue, aux mondanités, et qui ne craint rien plus que se retrouver face au silence et à la solitude. «Et demain il faudra encore recommencer, les mêmes rues, les mêmes cafés, les mêmes gueules… Je n’en peux plus. Quand tout cela finira-t-il?»
Neuf ans plus tard, Alain Pacadis meurt à tout juste 37 ans, étranglé par son compagnon dans le studio qu’ils partageaient rue de Charonne. Sur sa tombe, pour toute épitaphe, il a fait inscrire: Alain «Destroy» Pacadis.
Alain Pacadis, «Un jeune homme chic», Héros-Limite, 272 p.