Publiée pour la première fois en juillet 1997 dans le Weekly Shonen Jump, la bande dessinée japonaise One Piece est devenue vingt ans plus tard un incontournable du genre shonen (qui désigne les mangas pour garçons). Le récit-fleuve d’Eiichiro Oda (867 chapitres à ce jour) est la série la plus imprimée dans le monde avec plus de 400 millions de copies écoulées, bien davantage que Tintin (240 millions d’exemplaires). Au-delà des records, One Piece a révolutionné l’univers du manga et a su s’imposer comme une œuvre à part entière. Son créateur est considéré par beaucoup comme un véritable génie. S’il pensait finir son manga en cinq ou six ans, cela fait maintenant deux décennies que les fans du monde entier suivent chaque jeudi les aventures de son équipage et de son héros au chapeau de paille.

Fans et youtubeurs

Des fans que l’on devrait apercevoir ce week-end sur la Riviera: la boutique spécialisée Bulle d’Asie organise un One Piece Day samedi à Montreux (exposition et animations au Centre des congrès), puis le soir à Vevey (conférence sur les vingt ans du manga au cinéma Rex). «En septembre dernier, une avant-première du film One Piece Gold avait rempli la salle, dans une ambiance géniale, souligne Julie Jaccard, gérante de Bulle d’Asie, qui attend environ 500 inconditionnels venus de Suisse et de France ainsi que les youtubeurs Manga Workout, All Blue Channel et One Piece Passion TV.

«Cette communauté forme une grande famille, qui partage des valeurs telles que la liberté ou la nécessité de croire en ses convictions», souligne Julie Jaccard, lectrice assidue de One Piece depuis «une douzaine d’années». Si elle n’a pas décroché à l’âge adulte, c’est parce que «Eiichiro Oda aborde de nombreuses thématiques sensibles et des problèmes complexes qui donnent à réfléchir. J’adore aussi son imprévisibilité: les shonens ont la réputation d’être tous construits sur la même trame, mais l’auteur surprend toujours et nous mène en bateau du début à la fin.»

Mystérieux trésor

Le bateau, justement. Dans un monde recouvert par les océans, dans un temps situé durant «l’âge d’or de la piraterie», les coureurs de toutes les mers du globe poursuivent le grand trésor laissé par le célèbre roi des pirates: Gold Roger. Parmi eux, un jeune garçon nommé Luffy recrute un équipage et se lance à la conquête du One Piece, le fameux pactole. Le lecteur est ainsi plongé dans un monde d’aventures aux décors fantastiques mais qui, par bien des aspects, n’est pas sans rappeler le nôtre. De nombreux enjeux de nos sociétés y sont abordés tel que l’esclavage, la guerre, la maladie, le racisme, les inégalités. Le scénario de la BD est donc plus complexe qu’il n’y paraît. Vingt ans après, les lecteurs ne savent d’ailleurs toujours pas ce qui constitue au juste ce mystérieux magot que Luffy est encore très loin de découvrir.

Depuis 1999, la série est adaptée en (dessin) animé. Beaucoup l’ont découverte à la télévision ou sur Internet. Loin d’être réservée aux enfants, One Piece compte au Japon 88% de lecteurs adultes. Une statistique surprenante qui montre à quel point le manga est ancré dans la culture nippone. Les gens grandissent avec elle; ceux qui avaient 15 ans en 1997 ont vieilli mais continuent de lire les aventures délirantes des chasseurs de trésors.

«La Comédie humaine»

Alors que certaines séries télé se perdent dans leurs contradictions dès la troisième saison, Eiichiro Oda sait parfaitement où il va. Au point de prétendre avoir en tête la dernière case de son manga depuis le début de la saga. L’auteur utilise tout au long de son aventure le foreshadowing, un procédé narratif qui consiste à semer tout au long de l’histoire des indices sur la suite de l’aventure, chaque phrase de chaque personnage pouvant ainsi contenir une information qui se révélera capitale dans un prochain chapitre… ou dans dix ans.

Les lecteurs du monde entier scrutent ainsi la moindre case à la loupe pour y découvrir de potentiels secrets, et spéculent sur les événements futurs. Ils sont d’autant plus accros que le dessin d’Eiichiro Oda ne laisse rien au hasard. Chaque coup de crayon y a sa place, les détails sont soignés, les arrière-plans travaillés à l’extrême. De par sa longévité, son ampleur et sa richesse, One Piece est peut-être plus qu’une BD… La Comédie humaine en format manga?


One Piece Day, samedi 3 juin, Bulle d’Asie, 22 rue des Deux-Marchés, Vevey.