Le Pakistan est une bombe. Géant démographique de quelque 180 millions d’habitants (ce qui en fait le sixième pays le plus peuplé du monde), il représente depuis sa création un concentré exceptionnel de tensions ethnico-religieuses et nourrit des relations exécrables avec ses principaux voisins: l’Inde, l’Afghanistan et l’Iran. En un mot, peu d’Etats sont aussi instables que lui… et déstabilisent autant leur voisinage. C’est dire que les livres qui parviennent à le décrypter sont précieux.

En voici justement un, publié par l’un des meilleurs spécialistes français de l’Asie du Sud, Christophe Jaffrelot. Intitulé Le Syndrome pakistanais, l’ouvrage offre un grand nombre de clés pour mieux comprendre ce pays. A commencer par le récit de son origine. Le Pakistan a été créé officiellement pour protéger la minorité musulmane du sous-continent indien contre une majorité hindoue jugée menaçante. En réalité, souligne le chercheur, il a été fondé par la petite élite politique qui avait dirigé l’Empire moghol et ne s’est jamais imaginée ailleurs qu’au pouvoir. A défaut de pouvoir prétendre gouverner une Inde gagnée à la démocratie, elle a travaillé à sa partition pour continuer à régner «quelque part».

Pour tout simplifier, les fondateurs du Pakistan étaient rarement originaires de ce pays à majorité musulmane: ils provenaient pour la plupart des provinces à majorité hindoue de la vallée du Gange. Le nouvel Etat s’est donc bâti sur des fondations ambiguës: la mainmise (temporaire) d’une élite étrangère, les Mohajirs, sur les populations locales.

Christophe Jaffrelot a organisé son nouvel ouvrage autour de trois grandes tensions. La première naît de l’ambition de la classe dirigeante de régner sur un Etat unitaire dans un pays multiethnique. D’une nation sans Etat, les Mohajirs se sont retrouvés à la tête d’un Etat sans nation, sans nation unique à laquelle chacun pourrait s’identifier. La seconde tension provient de la volonté des élites de conserver le pouvoir, tout le pouvoir, qu’il soit politique ou économique. Egalement caractéristique du Pakistan, la succession régulière des régimes civils et militaires ne doit pas leurrer. Avec ou sans uniforme, c’est toujours le même establishment qui continue à régner, tout en se déchirant, sur un peuple réduit à l’état de sujet.

La troisième tension, enfin, découle d’un désaccord fondamental sur le rôle de l’islam. Car si la religion musulmane est au cœur de l’identité du pays, la scène politique est profondément divisée entre ceux qui y voient une identité culturelle et ceux qui la considèrent comme un projet religieux.

Au terme de l’ouvrage de Christophe Jaffrelot, le constat est amer. Le Pakistan n’a jamais réussi à dépasser ces tensions. Soixante-six ans après sa création, il paraît même plus que jamais en échec.