«Partager le livre avec le public le plus large»
Sylvie Berti Rossi
Archéologue puis éditrice, la Vaudoise se consacre à plein-temps au Livre sur les quais à Morges, qui débute vendredi
Il y a du monde au restaurant du Club nautique à Morges. Il fait beau, chaud, la vue sur la jetée qui pointe vers le lac et l’horizon donne immédiatement envie de prendre un congé sabbatique. Une telle perspective n’est pas du tout au programme de Sylvie Berti Rossi, secrétaire générale de l’association Le Livre sur les quais. Vendredi, le festival littéraire ouvre sa quatrième édition et attend plus de 30 000 visiteurs (presque 40 000 en 2012, selon les organisateurs). Autant dire que la responsable et son équipe tournent en surrégime et que l’expression «vacances d’été» a disparu de leur lexique.
Quelque 320 écrivains sont attendus cette année, contre 300 en 2012, 250 en 2011 et 180 en 2010. «Le salon a trouvé sa taille idéale. Nous n’allons pas chercher à augmenter davantage le nombre d’invités, nos limites logistiques sont de toute façon atteintes. Il s’agit maintenant de soigner davantage encore la qualité de la programmation», explique Sylvie Berti Rossi, en forçant un peu la voix pour couvrir le brouhaha des tables.
Les salades sont arrivées. Quand on souligne la rapidité avec laquelle Le Livre sur les quais a fait sa place dans l’agenda du public, la secrétaire générale décoche un grand sourire. «Et pourtant, au début, notre idée semblait tomber de la lune! Il n’existait pas ici de salon d’auteurs comme en France. Nous misions sur l’appétit de lecture des Suisses romands et sur leur envie de rencontrer les écrivains. Dès la première édition, il était clair que nous avions vu juste.»
Comme presque toujours, l’aventure a commencé par des discussions. L’éditrice et mécène Vera Michalski, la libraire Sylviane Friederich et Sylvie Berti Rossi, à l’époque éditrice avec son mari Frédéric Rossi aux Editions Infolio, tombent d’accord: et pourquoi ne pas transposer à Morges le concept du Livre sur la place à Nancy, un festival qui permet aux lecteurs d’entamer la conversation avec leurs auteurs préférés, le temps d’un week-end? «Mon mari et moi y allions depuis une dizaine d’années et, à chaque fois, l’atmosphère conviviale nous séduisait. Le fait aussi que les écrivains très connus se retrouvent à la même enseigne que les auteurs débutants ou plus confidentiels. Le public déambule, va vers les uns et les autres, de façon très détendue.»
Nuria Gorrite, syndique de Morges à ce moment-là, soutient d’emblée le projet, tout comme Anne-Catherine Lyon au niveau du canton. En décembre 2009, l’association Le Livre sur les quais voit le jour, une personne est nommée responsable. Quatre mois plus tard, elle est remerciée. Sylvie Berti Rossi accepte au vol de reprendre la mission. A quelques mois du lancement, l’ambiance est alors légèrement à la panique. Ce d’autant que les éditeurs parisiens ne situent même pas Morges sur la carte. «Nous avons été sauvés par les carnets d’adresses de Vera Michalski, de Pascal Vandenberghe, le directeur de Payot, et de l’attachée de presse Maureen Browne.» Organisée à l’arrache, l’édition inaugurale réunit 25 000 visiteurs dans une ambiance de fête.
Le tournant a lieu en 2012. Le festival troque cette année-là ses atours d’invité surprise des manifestations littéraires pour celui de membre à part entière. «Les éditeurs français nous répondaient beaucoup plus vite. Les auteurs demandaient à venir. Nous avons compris que nous étions maintenant dans l’agenda, avec Nancy et Brive-la-Gaillarde, autre salon d’écrivains important en France», raconte Sylvie Berti Rossi.
Les éditeurs et écrivains romands ont répondu d’emblée présent. Sur les 300 et quelques écrivains qui se déplacent, plus de la moitié sont Romands. Pour la responsable, Le Livre sur les quais doit être la vitrine de la production éditoriale locale.
Depuis 2012, Sylvie Berti Rossi se consacre à temps plein et à l’année au salon de Morges. Impossible de continuer en parallèle sa mission d’éditrice aux Editions Infolio. «En dehors de l’organisation et de la programmation de la manifestation elle-même, je consacre beaucoup de temps à la recherche de fonds. Nous tenons à la gratuité pour attirer le public le plus large possible. Mais sans entrées financières, nous avons besoin de soutiens.»
Si Nancy a été le modèle, Morges a peaufiné son identité propre. «Nous misons beaucoup plus sur les rencontres et les tables rondes. Le programme en comprend 150. Autre force que nous voulons développer: le multilinguisme. Le public suisse comprend plusieurs langues. Et de nombreux anglophones vivent dans la région. Vingt écrivains anglophones participeront à des tables rondes en anglais cette année. Ce brassage des langues est impensable en France.»
Autre nouveauté, le Confessionnal. Tous les quarts d’heure, un écrivain prend place dans un boudoir situé chez le marchand de meubles Moyard, en ville de Morges, et s’explique sur son livre devant un public d’une trentaine de personnes. Et, pour la première fois, un bateau embarquera écrivains et lecteurs depuis Genève jusqu’à Morges avec une halte à Nyon.
Difficile d’imaginer qu’avant de basculer dans le monde du livre, Sylvie Berti Rossi a fouillé les strates archéologiques de la région. Dans une première vie, de 25 à 35 ans, elle était archéologue. Dix ans de vie de chantiers. L’édition l’a sortie de l’aridité de la recherche. Chez Infolio, elle a dirigé pendant sept ans l’édition remarquée d’une somme sur le yoga en cinq volumes (Raja Yoga, 2007). Elle pratique depuis longtemps la méditation. C’est ce qui lui permet de tenir pendant les préparatifs du Livre sur les quais, assure-t-elle en riant. Le lac brille. La jetée invite toujours autant au départ.
Le Livre sur les quais, Morges, 6-8 septembre. www.lelivresurlesquais.ch
«Plus de la moitié des écrivains présents sont Romands. Nous devons être la vitrine de la production locale»