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Le patrimoine mutilé de Palmyre reconstruit virtuellement

Dans un livre richement illustré, l’archéologue Patrick Michel dresse un état des lieux de la ville de Palmyre, en Syrie, et des pistes pour prendre soin d’un héritage mutilé par Daech

Avril 2016, après des saccages au musée de Palmyre. Quelques mois plus tôt, le directeur de l’institution a été décapité lors d’un raid de Daesh.  — © (Iconem-DGAM)
Avril 2016, après des saccages au musée de Palmyre. Quelques mois plus tôt, le directeur de l’institution a été décapité lors d’un raid de Daesh.  — © (Iconem-DGAM)

Un champ de gravats. C’est ce qu’il reste du sanctuaire de Baalshamîn, à Palmyre, après le passage de Daech, qui l’a dynamité en 2015. La clé pour faire revivre virtuellement ce trésor se trouve à Lausanne, dans les archives du Genevois Paul Collart (1902-1981) qui fouilla le site dans les années cinquante et dont l’équipe prit de précieux relevés. D’autres monuments de la cité antique (le temple de Bêl, le tombeau des Trois Frères, le théâtre) retrouveront peut-être un jour eux aussi un visage, en 3D, étape cruciale pour conserver leur mémoire et peut-être entreprendre, dans le futur, leur reconstruction.

A l’Université de Lausanne, l’archéologue Patrick Michel dirige le projet Collart-Palmyre, qui numérise l’ensemble des archives de Paul Collart sur le sanctuaire de Baalshamîn. Le chercheur fait paraître Un Patrimoine mutilé. Palmyre: hier, aujourd’hui. Et demain? aux Editions Favre, en collaboration avec Yves Ubelmann, directeur d’Iconem, entreprise innovante spécialisée dans la numérisation 3D de sites patrimoniaux. Il revient sur les enjeux de la préservation de cet héritage. Le Temps: Pourquoi Daech voulait-il détruire Palmyre?** Patrick Michel:** Je ne pense pas que ces destructions étaient motivées principalement par une démarche iconoclaste. Mon interprétation, c’est qu’il s’agissait plutôt d’une provocation envers l’Occident. Palmyre a été classée en 1980 au patrimoine mondial par l’Unesco. En arrivant, Daech avait déclaré qu’il ne toucherait pas aux temples. Mais en voyant que les puissances occidentales se préoccupaient de la préservation du site, il a changé de stratégie le 10 juin 2015, décapitant le directeur du musée archéologique de la ville, mort pour avoir protégé la ville antique.

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Les personnes qu’on a vues saccager des statues ou des tombes sur les vidéos diffusées sur internet étaient convaincues d’abattre des idoles. Leurs chefs, eux, ont compris l’intérêt médiatique qu’ils pouvaient tirer de ces destructions, qui leur offraient une publicité efficace à bas prix. De quelle civilisation faste Palmyre était-elle le visage?

La grande période de Palmyre correspond à la période gréco-romaine. La langue officielle est le grec, et la langue vernaculaire l’araméen de Palmyre, un dialecte appelé le palmyrénien. La première période faste de l’urbanisme a eu lieu vers 130 de notre ère, la seconde dans les années 260, avec le règne de la reine Zénobie, dont les prétentions déplurent à Rome. La reine s’intéressait beaucoup à la philosophie grecque et aux idées des manichéens venus de Perse. Ces cultures se sont mêlées et ont influencé l’art palmyrénien. Pourquoi, dès le XVIIIe siècle, cet art a-t-il fasciné l’Europe?

La découverte du site a influencé le néoclassicisme en Europe et en Russie, on en retrouve des traces aujourd’hui en Angleterre ou en France, par exemple. Palmyre mêlait dans son architecture les canons romains, ou vitruviens, avec des particularités typiquement orientales. Si le vocabulaire est classique, la grammaire et la syntaxe, elles, sont orientales. Qu’est-ce qui explique la présence d’une équipe suisse sur place entre 1954 et 1956, puis en 1966?

L’archéologue Paul Collart était proche d’Henri Seyrig, fondateur de l’Institut français d’archéologie du Proche-Orient. Grâce à lui, Collart fut chargé par l’Unesco d’inventorier les biens culturels de la Syrie et du Liban. Henri Seyrig lui proposera ensuite d’effectuer les fouilles du temple de Baalshamîn. Pour la première fois, la Suisse finançait une mission archéologique à l’étranger. Paul Collart est un pionnier qui inaugure une longue tradition suisse.

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Après 1966, Paul Collart a réussi à publier l’ensemble des résultats de la fouille, en six volumes. Cette rapidité n’a jamais été égalée. Le fonds Collart compte quelque 8000 documents, photographies, croquis, carnets de fouilles, correspondances… Nous sommes en train de publier ces documents, certains inédits, en libre accès sur la base de données Tiresias de l’Université de Lausanne.

En parallèle, nous élaborons des modèles 3D du sanctuaire en collaboration avec Iconem. A l’automne 2020 au plus tard, nous aurons mis une plateforme en ligne, sur laquelle ces documents et les modélisations seront consultables et géolocalisables. Pourra-t-on redécouvrir Palmyre telle qu’elle était avant les destructions de 2015 et 2016?

Il y aura plusieurs modèles 3D pour le même temple, ce qui permettra de retracer son évolution depuis le IIe siècle avant Jésus-Christ jusqu’au XIIIe siècle après Jésus-Christ. Notre frise temporelle couvrira ainsi un millénaire et demi. Le temple de Baalshamîn, construit dès l’an 17 de notre ère (mais inauguré en 130 pour la visite d’Hadrien), a beaucoup évolué au fil du temps. Nous aimerions montrer ce qu’il y avait avant sa construction, en l’occurrence des tombes, et comment la morphologie du site a évolué une fois la construction achevée, lorsque les Byzantins, puis les Arabes, l’ont modifiée.

En cliquant sur un point de la visualisation, on aura accès à tous les documents qui existent à son sujet. On pourra avoir le contexte de la découverte de chaque objet. Une équipe française fait le même travail sur d’autres temples, notamment celui de Bêl. Notre but est de réunir nos sites sur une plateforme commune. Faut-il restaurer les monuments, sur place, ou se contenter de visites virtuelles?

Il est trop tôt pour savoir si on peut parler de reconstruction ou pas. Il faudra commencer par avoir une idée précise de l’état de conservation des blocs de pierre sur place, à terre, pour estimer le nombre de blocs neufs qu’il faudrait faire tailler pour reconstruire. D’où l’intérêt de travailler sur la documentation et les relevés photogrammétriques, seul moyen de comparer le bâtiment avant et après sa destruction.

Mais l’élément humanitaire doit être prioritaire. On ne peut dissocier la réhabilitation de sites archéologiques du destin des populations locales et des populations déplacées par les conflits. On ne peut imaginer reconstruire un site alors que des gens n’ont pas de maison. Il faut tout penser ensemble, globalement.

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Un Patrimoine mutilé. Palmyre: hier, aujourd’hui. Et demain? EssaiPatrick Michel et Yves UbelmannFavre, 152 p.