La littérature noire préfère souvent le long, voire le très long, au court. Et c’est bien dommage. L’énigme, l’enquête, le suspense se prêtent fort bien à la concision exigeante de la nouvelle. Parmi les classiques, on pense bien évidemment au grand Edgar Allan Poe. Et parmi nos contemporains, à la prose laconique de l’Allemand Ferdinand von Schirach. Après sa percutante trilogie sur la crise grecque et connaissant son humanité généreuse, son goût pour les atmosphères ciselées et les détails signifiants, on n’attendait pas forcément Petros Markaris dans ce registre-là. Il y fait merveille.

Lire aussi:  Fin de la crise grecque? Trop beau pour être honnête

Trois Jours se déguste comme une boîte de loukoums accompagnée d’un verre d’eau fraîche et d’un café bien serré. Composé de huit nouvelles, ce recueil fait de la diversité une vertu et de la mobilité son fil rouge. Il nous emmène de Grèce en Turquie, avec un détour par l’Allemagne. Il nous fait voyager des années 1940 à nos jours, tissant malicieusement des liens entre les époques et les faits. Dans ce périple jalonné de cadavres, mais sans systématique, on retrouve par ailleurs les thèmes chers à Markaris, son empathie pour les déshérités, les migrants et les déplacés, son intransigeance face au racisme et au nationalisme, son amour des grandes villes et sa familiarité avec le monde du cinéma – il fut le scénariste de Theo Angelopoulos, rappelons-le.

Epouvantail animé

Et l’attachant commissaire Charitos? Est-il une fois encore du voyage? Oui, rassurez-vous, il est présent, mais dans deux nouvelles seulement. Et Petros Markaris profite de ce personnage lucide et souvent ronchon pour poser un regard ironique sur la vanité de certains acteurs culturels grecs, notamment littéraires. Présent avec sa femme, sa fille et son gendre dans un café-librairie qui offre des soirées musicales, le policier observe avec amusement un metteur en scène de cinéma dansant le zeïbékiko et constate: «En Grèce, tout marche à l’envers. Les artistes ont des allures d’épouvantail animé, tandis que les flics ressemblent à des danseurs professionnels.»

Lire aussi:  Petros Markaris, un écrivain en colère

Dans ce livre, Petros Markaris se souvient aussi de ses origines. En effet, s’il vit à Athènes depuis plus de cinquante ans, il est né en 1937 à Istanbul, d’une mère grecque et d’un père arménien. Il évoquait déjà la petite communauté grecque des Roums dans son excellent polar L’empoisonneuse d’Istanbul. Dans Trois Jours – la nouvelle qui donne son titre au recueil –, il revient, par le biais de la fiction, sur un événement dont il fut lui-même le témoin à 18 ans: le terrible pogrom d’Istanbul de septembre 1955 déclenché par les Turcs à la suite du conflit chypriote.

Trois mousquetaires

A travers le personnage de Vassilis Samartzis, marchand d’étoffes à Péra, on suit quasiment heure après heure la montée de la violence qui débouche sur le pillage et le saccage des biens grecs. Les communautés juive et arménienne sont elles aussi victimes d’exactions. Ce qui, dans le récit, confirme la théorie désabusée de l’Arménien Antranik: «Nous, les Arméniens, les Grecs et les Juifs sommes les trois mousquetaires dans ce pays. Quand l’un casse quelque chose, ce sont les trois qui paient. Et quand les Turcs veulent cogner sur l’un de nous, c’est sur nous trois qu’ils cognent.»


Nouvelles


Petros Markaris
«Trois jours»
Traduit du grec par Loïc Marcou, Michel Volkovitch et Hélène Zervas.
Seuil, 184 p.