Lecture
Le dernier jeudi de chaque mois, dans une petite salle du Palais de Rumine, le projet Eclipse de jour propose de s’immerger dans un récit… plongé dans l’obscurité

«Il y avait eu de l’orage l’après-midi et maintenant dans une atmosphère d’une incroyable pureté, la lune sur son déclin éclairait de façon extraordinaire le jardin, immobile, désert et silencieux parce que les grillons et les grenouilles faisaient justement partie du silence.»
Rien qu’à ces mots, on sentirait presque l’odeur, doucereuse, de cette pelouse sous une lune d’été… alors qu’en réalité, ce jour-là, on se trouve au sixième étage du Palais Rumine, à Lausanne. Il est midi et demi et, dehors, la neige tombe. Installées sur l’estrade de cet atelier intimiste, une quarantaine de personnes écoutent un extrait de Douce Nuit, nouvelle de l’écrivain italien Dino Buzzati. Dans le noir.
Eclipse de jour: le nouveau projet de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCUL) porte bien son nom. Le dernier jeudi de chaque mois, de février à juin, le public est invité à assister, gratuitement, à une lecture plongée dans l’obscurité. «L’idée était d’abord de réunir les gens, de faire découvrir la bibliothèque autrement, tout en collant à la thématique de nos activités du semestre, la nuit, explique Alexandra Weber Berney, médiatrice culturelle à la BCUL. Nous avions déjà organisé des lectures à voix haute avec des compagnies de théâtre, et nous nous sommes dit que le noir permettrait une immersion plus intense dans le texte, d’atteindre un autre niveau d’interprétation.»
Bulle de nature
Une lampe, même petite, aurait amoindri l’obscurité: c’est donc un enregistrement que l’on vient écouter. Mais plus qu’une voix, une atmosphère nous enveloppe. Car la lecture s’accompagne de bruitages, de virgules musicales composés par deux professionnelles du son.
Une fois les stores du plafond tirés, les ascenseurs temporairement bloqués (pour empêcher l’irruption de retardataires intempestifs), une fois assis en tailleur sur son petit coin de coussin, un grondement sourd retentit et nous happe dans le jardin de Buzzati. Au milieu des croassements, des rumeurs de grillons et des respirations de violons, on devient témoins d’un théâtre nocturne cruel, celui des petites bêtes qui se font gober par les grosses. Une bulle de nature dont on émerge presque trop vite, après trente minutes immobile à ne pas même oser croquer dans son sandwich.
Pour une transition plus douce, un petit espace boissons invite à la discussion avant de s’en retourner au bureau, étonnamment léger et requinqué.
Croisière et sensualité
Après ce premier récit de littérature classique, les futures plongées auditives s’annoncent variées: fin mars, Douna Loup avec Déployer, ou les bouillonnements sentimentaux et sensuels d’une femme; en avril, Sur l’eau de Maupassant, inquiétante croisière d’un canotier français. Puis Le Soir du chien de Marie-Hélène Lafon, intrigue rurale et chorale pour clore le bal fin mai.
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Mais l’éclipse littéraire ne s’éclipsera pas de sitôt. Outre des suites prévues à la rentrée de septembre, ces récits audio étant par définition éternels, il est prévu qu’ils continuent à voyager. «Nous aimerions créer un poste d’écoute dans la bibliothèque, les proposer à des classes d’école ou peut-être même à travers un podcast», s’enthousiasme Alexandra Weber Berney. De quoi permettre à d’autres imaginations de lire en trois dimensions.
Eclipse de jour. Le dernier jeudi du mois, de 12h30 à 13h15 environ. Entrée gratuite.