En France et au Québec, la 18e édition du Printemps des poètes bat déjà son plein. Un peu sur le modèle de la Fête de la musique, chacun est convié, de la librairie du coin à la grande salle de spectacle, à écouter, lire, faire de la poésie. Depuis toutes ces années, la Suisse romande n'est pas restée en reste. Plusieurs manifestations ont souvent eu lieu autour du 21 mars, décrétée journée mondiale de la poésie par l'Unesco depuis 1999. Mais de grand mouvement fédérateur, non. Ce sera bientôt chose faite. Avec le soutien de l'Université de Lausanne, de Payot et la participation d'une quarantaine d'institutions et d'associations, le premier Printemps de la poésie s'ouvre dimanche, sous la houlette d'Antonio Rodriguez, professeur de poésie à Lausanne et poète lui-même. Lectures, ateliers, discussions, rencontres sont au programme.

- Après la France et le Québec, enfin un Printemps de la poésie en Suisse romande?

- La poésie est très vivante ici: par le nombre de poètes, de maisons d’édition, de lecteurs. Et par le nombre de manifestations organisées tout au long de l’année. Le problème tient parfois à son manque de visibilité médiatique. L’idée, avec le soutien de l’Université de Lausanne et de Payot, est de rassembler pendant quinze jours les forces des institutions qui s'occupent de poésie. Chaque institution produit son événement. Le Printemps de la poésie assure la visibilité et l’élan collectif.

- Malgré tout, la poésie reste un art difficile, elle intimide…

Globalement, elle a une image positive de beauté, de délicatesse, d'idéal, mais il est vrai qu'elle demande une attention particulière, un ralentissement de la lecture. On ne peut pas lire de la poésie comme on lit un polar, simplement pour suivre une histoire. Il faut la faire sonner ou danser dans sa tête. Et si on ne la cantonne pas à la littérature, son spectre se fait beaucoup plus large.

- C’est-à-dire?

- La poésie se pratique partout, au quotidien. Elle nous accompagne, de la naissance à la mort, de la crèche à l’université. Elle s'échange ou se pratique dans les grands moments de la vie.

- Nous sommes entourés de poésie sans le savoir?

- C'est cela. Par exemple, la poésie est l’un des grands genres de l’écriture intime. Les études sociologiques en France montrent que 15% des gens se livrent à une écriture intime. En Suisse, ce chiffre doit être équivalent ou plus élevé. Et parmi ces 15%, les deux tiers écrivent de la poésie, tout comme un journal intime, car certains écrivent dans les deux genres à la fois. Sans ambition littéraire particulière. Pour exprimer ce qu’ils ressentent. En outre, la poésie apparaît lors des rituels profanes de l'année.

- Lesquels?

- A la Saint-Valentin, à la fête des mères. Les poèmes permettent d’exprimer les émotions, l'attachement, l'appartenance. Dans des textes très simples, les enfants transmettent à leur manière la gratitude. Or ces fonctions, célébrer, louer, remercier, sont très importantes et anciennes. La poésie accompagne les humains dans les grandes étapes de l’existence.

- Les naissances et les deuils?

- Les faire-part contiennent souvent des extraits de poèmes. Une des soirées du Printemps de la poésie s’intitule: Comment la poésie prend soin des hommes et se déroule au CHUV. La poésie apparaît à l’hôpital, dans les lieux de vulnérabilité ou d'allégresse. Elle est aussi écrite dans les lieux d'oppression: dans les prisons, au front, dans les camps: dès qu'il y a trop d'obscurité, elle cherche la clarté; et s'il y a trop de lumière, elle va débusquer la part d'ombre.

- Comment expliquez-vous ce besoin de poésie?

- La poésie soude les communautés par les images et le rythme. Les grandes religions sont basées sur des formes poétiques, les sourates du Coran, les versets de la Bible, et des pratiques de récitations communes. Dès qu’il y a des contestations, des révolutions, la ferveur poétique est là: Résistance, Négritude, mai 1968…

- Qui dit rythme dit musique?

- Les grandes formes de la poésie viennent de la danse et de la musique. Le rondeau était une danse, la ballade aussi. L’objectif de l’écriture poétique est de créer ce mouvement chez le lecteur, de l'émouvoir et de le mouvoir!

- Pourquoi associe-t-on toujours printemps et poésie?

- Sans doute à cause de l’équinoxe, le 21 mars est la journée mondiale de la poésie! Nous passons d’un état à un autre, dans l’entre-deux, les jours sont équivalents aux nuits. Comme dans les métaphores, on associe deux choses pour en dire une. C’est une manière de regarder le monde autrement, avec un autre équilibre. La poésie, c’est la pensée de l’équinoxe. Alors que les formes conceptuelles relèvent plutôt du solstice. Lorsqu'on transmet aux enfants l'attention au printemps et à l’automne, les deux équinoxes révèlent les cycles de la naissance et de la mort. Et comment ne pas s'émerveiller face au retour des feuilles et à tous ces bourgeons qui vont éclore prochainement?


 

Un programme et un label

Du 13 au 26 mars, une quarantaine d'institutions, d'associations, dans toute la Suisse romande, organisent une trentaine d'événements. Des poètes suisses, français et antillais sont au rendez-vous comme Michel Deguy, Lyonnel Trouillot, Sandra Mousempès, Alexandre Voisard, José-Flore Tappy, Laurent Cennamo pour ne citer qu'eux participent à des rencontres et des lectures. Parmi les événements, "Les Pâques à New York" de Blaise Cendrars sera lu par deux comédiens lors d'un concert à Genève le 24 mars et à Lausanne le 25. Plusieurs manifestations se consacrent aux enfants. A noter aussi, un Salon des éditeurs romands de poésie, une soirée poésie créole à Neuchâtel, une soirée Slam à Vevey, etc. programme complet: poesieromande.ch

Le 18 mars, à 16h30, lancement du label Poésie d'aujourd'hui, à Payot Pépinet Lausanne: chaque mois un titre de poésie sélectionné par un comité de lecteurs est mis en avant pour constituer une bibliothèque idéale.