La poète vaudoise Anne Perrier rejoint l’éternel silence
Poésie
L’auteure de «La Voie nomade», seule femme à avoir reçu le Grand Prix national de la poésie française en 2012, s’est éteinte le 16 janvier dernier

«Je me souviens d’étoiles sur le front/Tièdes comme des mains abandonnées». Seuls deux Suisses ont reçu le Grand Prix national de la poésie française. L’un d’eux est Philippe Jaccottet; l’autre est une femme, la seule parmi les lauréats. Cette femme unique, discrète mais à l’œuvre forte et précieuse, c’est Anne Perrier. Née à Lausanne en 1922, elle s’est éteinte, annonce sa famille, le 16 janvier dernier à Saxon.
L’auteure de «La Voie nomade» (2000), du «Livre d’Ophélie» (1979), du «Petit pré» (1960), de «Selon la nuit» (1952) avait ainsi été célébrée, magnifiquement, en 2012, à la suite d’Aimé Césaire, d’Yves Bonnefoy, de Jacques Dupin, de Michel Deguy, de Jacques Roubaud, par la France et les lettres francophones. En Suisse, le Grand Prix Leenaards, mais aussi le prix Rambert avaient salué son travail.
Doris Jakubec, qui fut son amie, qui dirigea le Centre de recherche sur les lettres romandes et qui œuvra beaucoup pour la diffusion de ses textes, note que ces prix ont récompensé «une ligne poétique très droite, très pure et très concrète, reliant par ses images le haut et le bas. Anne Perrier n’a écrit presque que de la poésie. De rares petits essais, quelques traductions. Ses recueils représentent tout son immense travail, pour garder ensemble la dimension métaphysique et la réalité sensible.»
Respirer cette terre
«Lorsque la mort viendra/Je voudrais que ce soit comme aujourd’hui/Un grand soir droit laiteux et immobile/Et surtout je voudrais que tout se tienne bien tranquille/Pour que j’entende/Une dernière fois respirer cette terre.» Une œuvre majeure d’«une justesse tremblante», dit Sylviane Dupuis poète et enseignante de français; une œuvre marquée, dit-elle, par «une aspiration – presque – à la mort, mais dépassée par la poésie.»
Née d’une mère Alsacienne, dont Anne Perrier dit qu’elle lui a transmis son attachement à la nature, et d’un Vaudois, natif de Vienne, lettré et mélomane qui l’emmena tôt dans les salles de musique de Suisse romande, la jeune femme est d’abord tentée par la composition musicale. Mais très vite, elle écrit des poèmes, en secret, dit-elle dans le Plan Fixe qui lui est consacré en 2007. Ses premiers textes, elle les envoie à la revue Lettres qu’a inspirée à Genève, Pierre Jean Jouve, où œuvrent, notamment, Jean Starobinski et Marcel Raymond. A sa surprise, dit-elle, elle est publiée.
Il est certain que le cheminement spirituel a joué un rôle majeur dans l’évolution de ma poésie
Par la suite, sous l’impulsion de Georges Haldas, elle rencontre l’Abbé Charles Journet. Un théologien catholique, enseignant au séminaire de Fribourg, qui deviendra Cardinal, fondateur en 1926, de la revue Nova & Vetera, où Anne Perrier publiera nombre de ses poèmes. L’Abbé Journet, proche du philosophe Jacques Maritain, mettra Anne Perrier en contact avec des intellectuels français. Son mari, l’éditeur Jean Hutter, avec qui elle vit à Boudry, lorsqu’il travaille aux éditions de La Baconnière puis à Lausanne, quand il rejoint les éditions Payot, où il fonde une collection de poésie, lui permettra aussi de baigner continuellement dans le monde des lettres.
Anne Perrier se convertit au catholicisme, sous l’influence de l’Abbé Journet, sans que son œuvre ne le traduise directement: «Il est certain que le cheminement spirituel a joué un rôle majeur dans l’évolution de ma poésie, disait-elle à Mathilde Vischer dans un entretien en 2001, même si j’ai le sentiment que c’est dans l’ombre et sans une participation ou une volonté consciente de ma part.» «Il n’y a pas de réponses dans sa poésie, note Sylviane Dupuis, mais un mouvement d’ascension, un écoulement, un geste».
Une écriture du dedans
L’œuvre d’Anne Perrier touche profondément par sa simplicité, sa justesse. Elle suit ses chemins secrets, limpides et silencieux. «Elle écrivait dans sa tête, raconte Doris Jakubec. Elle écrivait «en dedans», intérieurement, puis tout son recueil sortait d’un jet. Aussi, lorsqu’elle a perdu la mémoire immédiate, s’est-elle arrêtée d’écrire, tout en gardant sa capacité à transformer le monde en le réinventant.» «Sa poésie est dense, rythmée, articulée, musicale, dit Doris Jakubec. Giacometti disait qu’il savait qu’une sculpture était terminée, lorsqu’il avait tout enlevé. Pour Anne Perrier, c’était pareil. Il lui fallait enlever tout ce qui se trouvait entre les mots, tout ce qui décorait, tout ce qui encombrait. Il n’y a aucun bla-bla, aucune cheville chez elle.» Sylviane Dupuis, comme Doris Jakubec soulignent l’humour et la malice qui l’habitaient aussi.
Il manque aujourd’hui une édition scientifique des œuvres complètes d’Anne Perrier. L’Escampette en a publié une version, distribuée en Suisse par Les Belles Lettres. Les éditions Empreintes lui ont consacré une anthologie en 2011. Pour entrer dans son œuvre, on peut commencer par le long poème, splendide, libre et rebelle, intitulé La Voie nomade qu’on trouvera, en poche, aux éditions Zoé: «L’âme bleuie de froid/Quelle surprise pour la mort/Qui l’ouvrira/D’y trouver la fraîcheur sucrée/De la figue mûre.»