Portrait d’Adolf Hitler en 2060, en clone un peu minable
Roman
François Saintonge signe un roman fort bien mené qui raconte le triste destin, dans la France du futur, d’un clone de Hitler et d’un clone de Marilyn
Le regard fixe, passablement halluciné. L’expression tendue. La mèche de côté et la fameuse moustache sur les fines lèvres serrées. De prime abord, le portrait d’Adolf Hitler en pleine page sur la jaquette du livre met mal à l’aise. A quoi bon? Tous les «anniversaires» sont bons à prendre et le Führer fait fureur 80 ans après son arrivée au pouvoir le 30 janvier 1933. On pense bien sûr au roman Er ist wieder da du journaliste allemand Timur Vermes, qui se vend comme des petits pains en Allemagne. Mais dans Dolfi et Marilyn, de François Saintonge (un pseudonyme), Hitler n’est pas seul à s’afficher sur la jaquette, on retourne le livre et on se trouve face à un portrait de la pulpeuse Marilyn (Monroe, bien sûr).
Icône du mal côté face, icône du charme côté pile. Cette démagogie éditoriale dissimule en fait un roman fort bien mené. Il ne narre pas le retour de Hitler dans l’Allemagne contemporaine de Merkel, comme Er ist wieder da, mais la pénible existence de H6, le 6e clone de la série Hitler (douze exemplaires) dans la France de 2060. En ce temps-là, la loi autorise le clonage de personnes mortes depuis au moins septante ans. Des clones de personnalités célèbres sont ainsi mis en circulation par des sociétés privées autorisées à les commercialiser. Même si les gens capables d’identifier Hitler ne sont plus très nombreux, la série élaborée à partir d’ADN récupéré sur les dents de l’original fait l’objet d’une interdiction légale.
Tycho Mercier, un professeur d’histoire, est bien placé pour reconnaître Adolf Hitler dans le clone H6, pourtant sans moustache, âgé de 35 ans environ, que son ex-épouse a gagné à une tombola et dont elle se débarrasse au plus vite à ses dépens. C’est le début d’intrigues fort bien nouées. Pressé de larguer à son tour ce cadeau empoisonné, Mercier s’aperçoit vite qu’il a affaire à une victime affublée du visage du plus grand criminel de l’Histoire plutôt qu’à une réplique de l’odieux personnage historique. Ce clone illégal, un être au regard vide, sans mémoire ni identité, tombera dans les mains de la Régulation si Tycho Mercier le rapporte à son fabricant Heavy Friends. Faut-il se montrer humain avec un clone? Et qu’ont-ils d’humain, ces clones «grandis en cuve de vieillissement accéléré», modelables à l’envi et cependant capables de susciter des sentiments et même une irrésistible attirance dans le cas du clone «sauvage» de Marilyn échoué lui aussi accidentellement chez Tycho Mercier à la suite du décès d’un voisin? C’est toute la question, vertigineuse et périlleuse. Si les clones ne sont pas encore parmi nous, il n’est pas insensé de conjecturer qu’ils le seront un jour.