"Le Printemps des Barbares «de Jonas Lüscher? Un naufrage financier et caricatural
Roman
Empreint de moralisme mais amusant, ce roman sur le capitalisme débridé met en scène des tradeuses sexy et des golden boys, dit Stephane Maffli qui critique vertement le livre

En épigraphe, l’auteur donne une longue citation de l’essayiste autrichien Franz Borkenau qui tente une définition de la barbarie. Extrait: «La barbarie est un état où l’on retrouve un grand nombre des valeurs qui caractérisent une culture avancée, mais sans la cohésion sociale et morale qui est la condition préalable pour le fonctionnement rationnel d’une civilisation». Pour illustrer ce propos abstrait, Jonas Lüscher nous raconte une histoire qui colle parfaitement à notre époque.
Imaginez le Thousand and One Night Resort, un cinq étoiles fait de tentes climatisées au milieu du désert tunisien dans lequel de talentueux traders londoniens se mettent en scène à l’occasion d’un mariage (qu’il aurait été trop banal d’organiser à Londres ou ailleurs en Angleterre). Et imaginez que la crise bancaire engendrée par la faillite-surprise du géant Lehman Brothers en septembre 2007 n’était qu’un léger avant-goût d’une débâcle financière généralisée plus violente encore. L’État le plus touché, la Grande Bretagne, est en faillite. Sa monnaie est brutalement dévaluée. Du jour au lendemain, les cartes de crédit en livre sterling ne sont plus que de petits bouts de plastique sans utilité. Pour les jeunes loups de la finance anglaise, le réveil au lendemain de la fête est brutal.
Maladroit et touchant
Le narrateur est le richissime propriétaire d’une entreprise suisse de télécommunication dont il n’a pas à s’occuper. En tant qu’héritier, il n’en est plus que le visage public, l’incarnation de «l’esprit inébranlable d’une entreprise familiale de quatrième génération». C’est pour des raisons professionnelles que ce personnage maladroit et touchant, incapable de prendre la moindre décision, se retrouve dans cette oasis transformée en hôtel. Il raconte l’histoire à une connaissance dont on ne saura rien comme une série d’anecdotes, allant d’une digression à l’autre et posant ainsi les bases narratives de la chute de ce petit monde devenu indécemment riche trop rapidement. Quelques personnages en marge prennent alors de l’importance comme les parents des mariés qui ne sont pas du milieu bancaire ou la directrice de l’hôtel qui tente de sauver les meubles et met ses hôtes devenus insolvables à la porte.
Jonas Lüscher conçoit un jeu de politique-fiction qui n’est malheureusement pas réaliste car son scénario de fin brutale de la place financière anglaise ne tient pas debout économiquement. Une fois surmonté le caractère fictif du récit allégorique, le lecteur n’en sent pas moins un plaisir jouissif à suivre à travers le regard hébété du narrateur la transformation de la clientèle jet-set en barbares déboussolés.
Architecture solide
Depuis la crise financière, le trader est devenu la bête noire de l’imaginaire collectif, un personnage déshumanisé qui se croit tout permis grâce à son argent qu’il place au dessus de tout. La réalité est plus complexe, ce que Le Printemps des barbares ne fait que suggérer. Mais il a le mérite de s’attaquer à ce sujet et s’avère être un livre d’une architecture narrative solide et subtile mais à la morale un peu trop grossière et évidente. Bien qu’on ait de la peine à lui pardonner d’avoir traduit Genfersee par «Lac de Genève», la traduction de Tatjana Marwinski reste fidèle à l’écriture de Lüscher qui reprend certains motifs narratifs et stylistiques de la Novelle allemande du XIXe siècle.
Oui, le capitalisme débridé, tel que l’auteur le montre, présente un danger social auquel il est bon que la littérature rende attentif, mais le texte manque subtilité, la morale est trop évidente et la description des personnages, le narrateur mis à part, est caricaturale.
Auteur Jonas Lüscher
Titre Le printemps des barbares
Traduction de l’allemand (Suisse) par Tatjana Marwinski
Editeur Autrement
Pages 193