Randonnée au fil des losanges de signalisation
Livres
Jérémie Gindre publie un guide de montagne, soigné et drôle, sur l’esthétique et la signification des losanges de balisage alpins. Un très joli livre où texte et images se côtoient dans un équilibre étudié

Nous tous, marcheurs que nous sommes, nous les avons vus, et même suivis, sans pour autant vraiment les remarquer. Voici pourtant qu’un guide de montagne nous invite à les «admirer». Fi des panoramas alpins: grâce au Genevois Jérémie Gindre, le losange de balisage de moyenne montagne, ce fameux symbole jaune cerné d’une épaisse ligne noire, devient l’attraction des sentiers du randonneur helvétique. L’auteur en livre la chasse sur les 96 pages d’un élégant petit livre, une traque qui adopte presque autant de formes que le mystérieux sigle pourrait revêtir de significations.
L’ouvrage réunit en effet des textes – notes, essais historiques, tâtonnements ethnographiques – mais aussi de très jolis itinéraires commentés de randonnées, en Valais, à Fribourg et ailleurs, des dessins et, bien sûr, de nombreuses photographies des intéressés, que l’auteur a cueillis sur son chemin. Le tout décliné en deux couleurs, le jaune – évidemment – et le vert sapin, dont l’alliance, bleue, nous rappelle la teinte des lacs d’altitude donnés en objectifs des balades. Un objet complet et très soigné, donc.
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Nous voilà ainsi bien droits dans nos chaussures de marche, à mi-chemin entre l’enquête littéraire d’un amateur de montagne et le livre d’artiste. Jérémie Gindre n’a d’ailleurs jamais voulu se décider pour l’art ou la littérature, optant plutôt pour la pratique des deux disciplines, parfois indistinctement, puisque toutes deux se prêtent à merveille au support du livre. Après un roman publié l’année dernière aux Editions Zoé (Pas d’éclairs sans tonnerre), c’est vers une autre maison genevoise que s’est tourné notre auteur artiste: Bülbooks, micro-éditeur, grand amoureux d’ouvrages au graphisme millimétré, qui a pour habitude de laisser se côtoyer l’image et le mot dans un équilibre étudié. Décalé, cet éditeur discret semblait donc tout indiqué pour assurer la réalisation du guide hors catégories de Jérémie Gindre.
Texte parsemé de petits pictogrammes jaunes
Mais revenons à nos losanges – un mot qui, bien qu’il soit au centre du texte, n’est presque jamais écrit en toutes lettres par l’auteur. Celui-ci préfère, pour le signifier, la sémiotique à la sémantique: il dessine de petits pictogrammes au beau milieu de ses phrases. Il est d’ailleurs vrai que cette forme peinte le long des chemins est bien plus souvent vue que discutée. La dessiner est ainsi une manière de rappeler que le losange, en épousant une forme géométrique pour rejoindre le règne de l’abstraction, sort de la réalité du langage.
Max Bill est bientôt convoqué, Sol LeWitt le suit de près. Et Gindre d’interroger la signification originelle de cette forme, pour s’apercevoir qu’elle a disparu de la mémoire des baliseurs: «Les peintures de losanges sur les pierres des Alpes suisses s’inscrivent dans la longue lignée des peintures rupestres», avance finalement notre auteur. Si le mystère demeure, une chose est néanmoins certaine: dans ces losanges se cache plus qu’une simple direction. Pour plus de réponses, on emportera ce guide en excursion, et on ira chercher d’autres losanges au croisement des sentiers.
Jérémie Gindre, Losanges sur pierres des Alpes suisses, Bülbooks, 96 pages.