Attention, cette chronique est déconseillée au moins de 18 ans. Car le livre dont l’on parle est violent. Très violent. Certainement trop violent. Alexandra Hemingway, la détective new-yorkaise qui officie dans Les Innocents, «pensait avoir tout vu. Elle n’avait pas encore connu le pire», trompette l’accroche en quatrième de couverture. Plus les pages défilent, plus l’auteur Robert Pobi la plonge dans le glauque et le morbide. Pour échouer dans le grotesque.

L’histoire commence brutalement. Page 6, l’héroïne tire sur deux inconnus qui essayent, en plein New-York et en plein jour, de lui piquer son 4x4. Page 9, un enfant de dix ans est retrouvé dans une rivière, ses deux pieds ont été découpés à la scie alors qu’il était encore vivant. L’assassin lui a enfoncé une seringue dans l’œil pour le droguer. Le ton est donné. Alexandra Hemingway, une femme aussi dure et virile qu’une détective new-yorkaise de polar peut l’être, traque le malade qui fait exploser les statistiques de la Grande Pomme.

Pour ceux qui n’auraient, à ce stade, pas encore refermé le livre, le reste du récit se déroule sur la même lancée. Un coup de lame de rasoir par ci, un coup de scie sauteuse par là. Le principal suspect est retrouvé découpé en des dizaines morceaux chez lui, à côté d’un congélateur qui contient une forêt de pieds d’enfants bleutés par le froid. Mais les meurtres continuent. Et d’autres victimes continuent de perdre les organes internes, et les pieds, et les mains (et la tête, Alouette).

Soif de sensationnalisme

La violence crue qui macule les pages du roman confine à l’absurde. Et, en fin de compte, fait sourire plus qu’elle ne glace le lecteur. Dispensable, cette surenchère d’hémoglobine éclipse même les quelques bonnes trouvailles qui auraient pourtant pu être mieux exploitées (Alexandra Hemingway est enceinte de quelques semaines, le tueur s’en prend à des enfants qui ont un point commun original, etc.). Avec Hannibal Lecter, on a pourtant compris qu’il était possible de faire du gore intelligent.

Dommage, pour «Les Innocents». Car tout n’est pas à jeter dans le roman. Le rythme y est par exemple bien tenu et les 528 pages ne comptent presque pas de temps morts. Certaines figures de style originales rappellent parfois même un lointain Stephen King, notamment dans les jeux de ponctuation.

On devine dans ce polar que le Canadien Robert Pobi n’aime pas beaucoup les journalistes – il évoque des «cons», des «singes», des «insectes nuisibles» qui inspirent notamment le «dégoût». Il critique durement l’apparente superficialité de leur travail et leur soif de sensationnalisme. Mais en tablant allègrement sur des scènes d’ultraviolence pour vendre son livre, Robert Pobi ne tombe-t-il pas dans les mêmes travers?

Les Innocents, (River of the Dead) de Robert Pobi, trad. de l’anglais (Canada) par Arnaud Baignot, Sontaine, 528 pages