Trieste, le 31 décembre 1999
Livre
Victor Cohen Hadria revisite la ville des confins mitteleuropéens dans un roman qui tient à la fois de la science-fiction et de la nostalgie du XXe siècle

Victor Cohen Hadria (Les Trois Saisons de la rage, 2010; Chronique des quatre horizons, 1998; Isaac était leur nom, 1997) situe son dernier roman, Maîtres du monde, dans la ville très littéraire et multiculturelle de Trieste. Les fantômes de James Joyce, qui y vécut durant dix ans, et de son émule Ettore Schmitz, pseudonyme du grand écrivain Italo Svevo, natif de Trieste, ou encore du poète Umberto Saba, font une brève apparition.
Mais dans Maîtres du monde, Cohen Hadria investit vite ses personnages plongés dans une narration complexe qui semble parfois faire écho à la complexité historique de la ville elle-même, dont le lecteur parcourt les rues, les places, entrevoit les palais et les cafés.
Bug de l’an 2000
Nous sommes le 31 décembre 1999, rappelez-vous, quand le monde délirait un brin sur le double passage du siècle et du millénaire, avec en prime la crainte d’un bug universel qui ferait basculer nos ordinateurs, et partant notre quotidien, dans le no man’s land de 1900.
Il y a tout cela en arrière-fond de ce roman, mais le bug prend ici une connotation individuelle, l’amnésie d’Elio, un informaticien hyperdoué venu échouer à Trieste pour une raison qu’il ignore, justement, puisque le pauvre ne sait plus qui il est… Tout l’effort consiste dès lors bien sûr à retrouver la mémoire, autrement dit le fil de l’histoire ainsi échouée dans le port de Trieste.
Mémoires numériques
Il y a pour ça un fameux professeur, un peu sorcier, un peu faussaire, Zembalone, qui soumet Elio à un étrange traitement, comme à ses autres patients formant une petite cohorte de cinglés cultivés, créatifs et mythomanes.
Recouvrant peu à peu la mémoire, Elio débarque dans une ténébreuse histoire, au cœur de l’opération Consortium, dans laquelle il se découvre en acteur d’une sombre machinerie planétaire mafieuse, par algorithme interposé. Puis, il se voit décidé à se venger du Consortium dont il fut le serviteur, puis la victime.
Tout cela est assez compliqué, et ce n’est pas la moindre étrangeté de ce récit que son narrateur, on le découvre peu à peu, ne soit pas une entité humaine mais bien une sorte de surmoi numérique en phase avec une angoisse très contemporaine.
Victor Cohen Hadria, «Maîtres du monde», Albin Michel, 356 p.