Chronique Enfants
Deux livres célèbrent l'imaginaire et l'ailleurs

Benoît Broyart a eu raison de provoquer leur rencontre. L’un est de ceux qui passent inaperçus, un garçon timide, rêveur et solitaire. L’autre a la présence plutôt massive, voire franchement encombrante, et pour cause: c’est un éléphant, et John l’aperçoit un beau matin dans son petit jardin newyorkais.
Commence alors une déambulation heureuse. La narration, calme, gracieuse, donne le ton: tout est de l’ordre de l’évidence, du dérangement léger, la ville semble s’adapter à ces deux-là, comme on se fait au pas de celui aux côtés de qui on chemine.
Ce ne sont peut-être que des rêveries, mais qu’importe puisque même l’anticipation utopique (si l’éléphant restait plus longtemps, ils pourraient encore visiter ceci, regarder cela…) prend autant de place que la «réalité» vécue, bénéficie du même formidable traitement iconographique.
Car il faut bien sûr parler des images. Delphine Jacquot laisse apparaître, dans ce très grand format, tout le talent et l’intelligence de son art: citations, références, mises en abyme animent des pages admirables, où les vues de rues, de bâtiments côtoient d’improbables cartographies mentales, hommages à ces enfants dont l’imaginaire peuple et magnifie le quotidien.
Second livre pour la jeunesse de Véronique Ovaldé, Paloma et le vaste monde est une histoire de femmes. Une mère et ses trois filles vivent en vase clos depuis la disparition du père, un pilote. Ce lieu confiné où même le monde est mis sous cloche – comme en témoigne une collection de boules à neige – va pourtant célébrer un départ, celui de Paloma.
L’enfermement n’était qu’une étape, peut-être le temps du deuil, avant que la mère ne puisse plus ignorer les désirs de sa fille, avant que la famille accepte de s’ouvrir à nouveau au monde.
Des personnages qui, page après page, vous font face, ce n’est pas courant. Mais les regards de Jeanne Detallante traversent le lecteur, sont déjà ailleurs. De là peut-être (mais aussi grâce à tant d’autres éléments, comme les couleurs, les motifs floraux) cette présence éclatante qui évoque les portraits et l’art de Frida Kahlo.
Réussir à parler de l’avenir avec une nostalgie délicate, susciter le mouvement avec une fixité éclatante: voilà deux des paradoxes, mais aussi deux des multiples qualités de cet album.
Benoît Broyart
Illustr. de Delphine Jacquot
Un éléphant à New York
Seuil jeunesse. Dès 5 ans.
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Véronique Ovaldé
Illustr. de Jeanne Detallante
Paloma et le vaste monde
Actes Sud junior. Dès 7 ans.
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