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Un Médicis pour Christine Angot, une injustice réparée

Christine Angot reçoit le Prix Médicis pour «Le Voyage dans l’Est», livre phare de la rentrée littéraire francophone. Il était temps. L'autrice reste en lice pour le Prix Goncourt

Christine Angot après l’annonce du Prix Médicis, décerné à son roman «Le Voyage dans l’Est», à Paris mardi 26 octobre. — © Photo by STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
Christine Angot après l’annonce du Prix Médicis, décerné à son roman «Le Voyage dans l’Est», à Paris mardi 26 octobre. — © Photo by STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Longtemps, Christine Angot aura été privée de la reconnaissance officielle des milieux littéraires. Malgré le Prix de Flore pour Rendez-vous en 2006 et le Prix Décembre en 2015 pour Un Amour impossible, elle était boudée par les plus grandes distinctions parisiennes. Rares sont les auteurs à avoir suscité autant de critiques et d’agacements, autant de virulence que Christine Angot depuis ses débuts en 1990 avec Vu du ciel.

Son histoire personnelle, dont elle a fait la chair de ses livres, et en particulier l’inceste paternel qu’elle a subi ont souvent été jugés littérairement irrecevables. Pour amoindrir la portée de son œuvre, on a tenté de la réduire à une littérature de témoignage et au nombrilisme de l’autofiction. On lui a même refusé parfois le qualificatif d’«écrivaine». Mais, depuis son premier grand succès, L’Inceste, en 1999, les temps ont changé. D’autres livres ont placé l’inceste ou les abus sexuels de mineurs au cœur des débats: Le Consentement, de Vanessa Springora, paru chez Grasset, racontant l’emprise que cette dernière a subie de la part de l’écrivain Gabriel Matzneff. Mais aussi La Familia grande, au Seuil, dans lequel Camille Kouchner accusait le politologue Olivier Duhamel d’avoir abusé sexuellement de son frère.

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Surtout, Christine Angot s’est révélée comme une écrivaine et une grande romancière. Son style est clair, net et puissant. Très travaillé, tout en demeurant également transparent et populaire, il évoque celui de Simenon. Dans Le Voyage dans l’Est, elle parvient à faire ressentir au lecteur, de l’intérieur, ce que ressent une personne abusée par son père à l’âge de 13 ans, alors qu’elle ne possède ni les mots ni l’espace de pensée nécessaire pour donner sens à ce qui lui arrive. Enfin, son roman touche à l’universel lorsqu’il montre le mécanisme de la collaboration de toute une société qui protège les agresseurs et maintient les faibles dans la peur.

La littérature romande bien représentée

L’attribution du Prix Médicis vient tardivement réparer l’injustice dont était victime la romancière. Mais son livre, d’une grande force et d’une qualité littéraire saisissante, peut aspirer à bien plus, au prix des prix parisiens, le Goncourt, puisqu’il figure parmi ses quatre finalistes, révélés mardi, aux côtés de Sorj Chalandon (Enfant de salaud, Grasset), Louis-Philippe Dalembert (Milwaukee Blues, Sabine Wespieser), et Mohamed Mbougar Sarr (La Plus Secrète Mémoire des hommes, Philippe Rey).

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Le Médicis du roman étranger revient au Suédois Jonas Hassen Khemiri pour La Clause paternelle, paru chez Actes Sud, traduit par Marianne Ségol-Samoy, et dressant le portrait d’une famille dysfonctionnelle, dominée par un patriarche encombrant et autoritaire. La romancière Jakuta Alikavazovic reçoit, quant à elle, le Prix Médicis de l’essai pour Comme un ciel en nous (Stock), évoquant ses visites au Louvre avec son père.

L’édition et la littérature romandes étaient bien représentées dans la sélection, par les écrivaines Catherine Safonoff (Reconnaissances, Zoé, curieusement placé dans la catégorie «essai»), et Pierrine Poget avec Warda s’en va, Carnets du Caire (La Baconnière). Publié à Lausanne, par les Editions Noir sur Blanc, Les enfants de la Volga, de Gouzel Iakhina, traduit du russe par Maud Mabillard, figurait lui aussi parmi les finalistes pour le Médicis étranger.