«Un Autre Monde» de Barbara Kingsolver
Le poche de la semaine
Comment l’opinion publique transforme un homme trop libre en pestiféré…
L’Américaine Barbara Kingsolver aime mêler la grande Histoire et les petites histoires, un art que l’on retrouve dans cet Autre Monde. Nous sommes dans une île mexicaine, où un adolescent né en Virginie en 1916 – Harrison Shepherd – observe les frasques de sa mère volage en écoutant gémir les singes hurleurs. Son rêve? Prendre le large. Il ne tardera donc pas à débarquer à Mexico, où un gringo de génie – le peintre Diego Rivera – «couvre de couleurs les murs des bâtiments comme un arbre produit des fleurs». Harrison est ébloui. Il brasse le plâtre en sa compagnie, croise Frida Kahlo et une armada de révolutionnaires en goguette rassemblés autour d’un certain Léon Trotski, qui n’est pas encore tout à fait entré dans la légende… Barbara Kingsolver redouble d’ironie pour épingler l’intimité de ce petit monde passablement excentrique, tandis que son héros s’escrime à chercher «la porte vers un autre monde»: éternel vagabond, il découvrira que ce monde-là se cache au fond de lui-même et que sa vraie vocation consiste à écrire des romans. Avant son retour dans son pays natal, où l’hystérie maccarthyste orchestre une impitoyable chasse aux sorcières. Harrison en sera l’une des victimes, à cause de ses anciennes fréquentations mexicaines: accusé d’antiaméricanisme, fustigé par la presse qui le fait passer pour un dangereux communiste, il finira dans l’ombre et ses livres seront bannis des bibliothèques. C’est sur sa nécrologie que se termine ce roman amer, où l’on découvre comment l’opinion publique transforme un homme trop libre en pestiféré.