Caractères
L’automne, saison de prix littéraires, propice à la pratique d’un vilain péché capital: l’envie

Attention, attention, préparez-vous à des temps nauséabonds, plein de sourdes pestilences et de propos fielleux. En effet le prix Nobel de littérature vient d’être attribué à Bob Dylan.
Quel rapport me direz-vous? Eh bien pour un auteur heureux, combien de déçus, outrés, chagrinés, désolés, furieux? En un mot combien d’envieux qui n’auront pas, cette année encore, obtenu les palmes de la gloire?
Voici donc que l’envie – péché capital – s’abat sur le monde littéraire à l’échelle mondiale. Et l’envie nous dit Grégoire Le Grand, ce n’est pas une bagatelle en matière de tare: «Bien que tout vice verse dans le cœur humain le poison de l’adversaire, c’est l’envie qui permet au serpent de cracher son venin le plus secret et de vomir la peste de sa méchanceté, pour la faire partager.» Bigre, voilà qui prouve qu’on ne rigole pas avec l’envie.
Mais comment suis-je tombée sur cette terrifiante citation? Vous vous souvenez peut-être d’une chronique précédente, parue au début de l’été, portant sur un péché capital autrement plus agréable que l’envie: la paresse.
Il se trouve que j’ai hérité, au gré des déménagements du Temps, d’une petite collection, parue jadis chez Librio, consacrée aux sept péchés capitaux, formée de brèves et remarquables anthologies littéraires, présentées par Sébastien Lapaque.
J’imagine bien que vous attendez tous, fiévreusement, que je vous entretienne de la Luxure, – péché capital autrement plus inspirant que l’envie. Sans oublier la gourmandise! Croyez bien qu’elles sont en réserve pour de prochaines chroniques…
Mais songeant au Nobel de littérature et parcourant ma bibliothèque, l’envie s’est imposée d’elle-même. Sur le sujet, la littérature ne déçoit pas: preuve que les écrivains en connaissent un rayon! Voilà qu’une jeune fille, envieuse de sa sœur, si belle et si bonne, se met à cracher crapauds et serpents dès qu’elle ouvre la bouche. Charles Perrault n’a aucune pitié pour elle: elle s’en ira, désespérée, abandonnée de tous «mourir au coin d’un bois».
Martial, l’auteur latin, spécialiste en épigramme, nous fait mourir de rire en s’indignant des menées d’un certain Tucca: «J’écrivais une épopée/Et tu voulus en faire autant. Pour ne pas te gêner, j’abdique: Et passe au cothurne tragique:/Tu prends le cothurne à l’instant. […] Je me mets à composer des épigrammes et voilà que tu les réclames;/Que tu veux ma réputation pour toi./C’est trop de palmes que tu cueilles;/S’il est genre dont ne veuilles/Tucca, dis-le! Laisse-le-moi!» Ulysse fait aussi les frais de l’envie de ses compagnons, tandis que le narrateur de la Recherche ne cesse de considérer avec envie les faits et gestes d’Albertine. La jalousie bien sûre est sœur de l’envie et elle peuple les pages de l’Ancien Testament, des Sonnets de Pétrarque, de La Princesse de Clève, des Liaisons dangereuses, De l’amour, selon Stendhal…
Mais, attention, vous disais-je. Car bien que l’envie ait manifestement gagné ses lettres de noblesse en matière littéraire, il faut se garder, chers auteurs, de la cultiver. Car, nous assure-t-on, l’envie, c’est très mauvais pour le teint: «Les envieux sont sujets à avoir le teint plombé». «Il n’y a aucun vice qui nuise tant à la félicité des hommes», y compris au plan physiologique, assure Descartes dans Les Passions de l’âme. Il suit en cela Hésiode, qui, dans Les Travaux et les Jours affirme lui aussi que «l’envie a le teint livide et les discours calomnieux»… Vous voilà prévenus!
Les Sept Péchés capitaux, Envie, Anthologie présentée par Sébastien Lapaque, La Découverte, 1982