De l’usage de l’aconit, qui peut se confondre avec du raifort, à un plan judicieusement organisé durant la visite d’un zoo: en 1968, Ange Bastiani offrait ce catalogue raisonné des manières les plus pertinentes de «supprimer son prochain à moindre risque», vantait-il en sous-titre. De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts, selon la formule de Thomas De Quincey. Mais surtout, comme une technique à bien maîtriser afin de réussir dans sa vocation. L’ouvrage constitue une offrande de Noël à lecture variable (qui zigouiller?), qui demeure rivée à sa vocation didactique.

L’auteur décline une belle panoplie de moyens et de situations propices à la liquidation de l’amant découvert, du collègue gênant, de l’ami traître, de l’époux encombrant ou de toute autre personne au choix du lecteur. Il envisage même le recours à la machine à laver, bricolée en variante ménagère de la chaise électrique, l’utilisation de saumon avarié, ou les mérites du glaçon tranchant, qui permet de faire disparaître l’arme du crime en toute sécurité et discrétion. Les possibilités proposées vont jusqu’à des cas plus extrêmes, tels que le crocodile – un peu difficile à maîtriser, notons-le – ou le bazooka de poche, utilisé, apprend-t-on, pour assassiner un trafiquant d’armes suisse à Genève en 1957. Au reste, cette arme «séduisait» Marcel Duhamel, le fondateur de la Série noire. Car, non content d’établir son mode d’emploi pluriel, Ange Bastiani a consulté quelques esprits acérés en la matière. Par exemple, Pierre Dac, qui propose un complexe montage de lacets trempés dans de la nitroglycérine et précisément disposés dans une voiture.

Ange Bastiani (1918-1977), ou Maurice Raphaël, ou Victor Le Page (son nom d’origine), avait produit quelques polars remarqués, tout en visant sans grand succès la littérature dite générale. Son bréviaire est imprégné de l’humour noir venu d’un monde de petites frappes et d’escrocs en tout genre. Le volume a d’ailleurs été consacré par le Grand Prix de l’humour noir, cru 1968. Outre ses propositions de meurtres délicats, l’auteur émaille son bréviaire de nouvelles parfois savoureuses.

Ainsi conte-t-il la veillée de Noël d’un comptable gris, de sa femme, une «beauté dodue», et de leurs enfants: le chef de famille a trempé dans la préparation du cambriolage de son entreprise, une opération ratée qui le rattrape au moment d’entamer la dinde.

Fort attentif à varier les plaisirs criminels et à les adapter à tous les publics, Ange Bastiani suggère aussi des méthodes selon les métiers: le crime dit de l’horloger, ou du coiffeur, ou du boucher chevalin… Stimulante lecture de Noël, pour cette période où se manifestent, avec une belle universalité, toutes les preuves de l’amour de son prochain.

Le Bréviaire du crime, Ange Bastiani. L’Arbre vengeur, 446 p.  Env. 36 francs