Un ovni littéraire venu d’Autriche
Roman
Xaver Bayer signe avec «La Vie avec Marianne» un récit dans lequel on navigue avec bonheur entre rêve et réalité

Déboussolant. L’adjectif s’impose à la lecture de La Vie avec Marianne. Ce roman de l’Autrichien Xaver Bayer se divise en 20 chapitres, qui sont en réalité 20 courts récits autonomes, 20 séquences de la vie du narrateur avec son amante Marianne. Dans cette narration non linéaire, les chapitres apparaissent comme les pièces d’un puzzle qui s’assemble au fil des pages pour dessiner la vie atypique de ces deux héros. Atypique, car ils s’engagent sans cesse dans divers jeux et aventures pour mieux éprouver le quotidien. Ensemble, ils aiment arpenter les brocantes à la recherche d’objets précieux pour jouir, ensuite, de leur destruction, s’amusent à ne dialoguer que par citations ou jouent à se perdre dans un stade rempli pour tester le destin et «voir s’il nous permet de nous rencontrer […] de manière fortuite».
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Ces 20 récits empruntent à l’absurde, au fantastique pour finalement nous parler de notre réel, de notre monde et de ses incertitudes, de nous-mêmes et de nos peurs. Au chapitre 13, par exemple, le narrateur téléphone, inquiet, à Marianne et lui annonce que des drones le suivent. Mais à l’angoisse succède bientôt l’attachement: «Comment lui expliquer à distance que, depuis que les deux drones font partie de ma vie, je ne me sens plus aussi seul?» Les drones deviennent in fine un «quelqu’un» qui «au fil du temps semble vous connaître mieux que vous ne vous connaissez».
Ascension vertigineuse
Dans une autre scène, le narrateur se retrouve coincé dans un ascenseur qui ne cesse de s’élever. Alors qu’il approche le 20 000e étage, il en vient à oublier le visage, le corps, le nom même de Marianne, comme si dans cette «éprouvante montée au ciel», l’être aimé disparaissait. Mais il n’y a, dans ce roman, aucune interprétation définitive, à chacun d’y déceler ce qu’il veut.
Chaque lecteur préférera ainsi certains chapitres à d’autres mais de l’ensemble se dégage une cohérence. D’un récit à l’autre, le lecteur perçoit des échos, l’ultime chapitre constituant une forme d’apothéose. Dans les dernières pages en effet, le narrateur se trouve dans l’appartement de Marianne mais celui-ci s’est transformé: un long corridor dessert plusieurs pièces dont chacune rappelle l’une des 19 autres «scènes» du roman. Le narrateur doit donc revisiter tous ces épisodes pour retrouver l’insaisissable Marianne, au bout du couloir. C’est bien elle la figure centrale du roman, elle qui guide, par ses jeux et ses règles, le narrateur, tout comme le récit. Ainsi, lorsque, dans le couloir sombre, il trouve l’ultime porte et l’ouvre, il est tout de suite «ébloui» car Marianne est là, enfin. Il la serre dans ses bras et dépose un baiser sur son cou, pour la remercier, peut-être, de l’avoir sorti de l’obscurité.
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Autodafés bien pensés
Né en 1977 à Vienne, Xaver Bayer écrit depuis 20 ans déjà. Les références sont nombreuses dans La Vie avec Marianne, de Kafka à Leonard Cohen en passant par ses propres œuvres. Ainsi, dans un chapitre, alors qu’un froid sans fin s’est abattu sur la ville, l’amoureux tente de survivre avec sa belle en brûlant un à un les objets et meubles de leur appartement. Vient le moment où il ne reste plus que les livres: le narrateur brûle d’abord ceux des autres, puis les siens. «Avant que la flamme ne commence lentement à s’éteindre, je jette vite dans le poêle mon dernier livre paru, La Vie avec Marianne, ouvert comme un éventail de sorte qu’il s’enflamme plus vite.»
Le livre que nous tenons entre nos mains, dont le narrateur affirme ici être l’auteur, est donc voué à disparaître. C’est le tour de force de Xaver Bayer dans ce roman: montrer la toute-puissance de l’écrivain. Dans la préface, son traducteur, le romancier Eric Faye, note à juste titre: «[ce] livre ne ressemble à rien de connu. Il faut dire que son auteur n’a pas lésiné sur les moyens, comme pour démontrer la liberté de création dont peut jouir un véritable écrivain. Et à le découvrir, on se dit effectivement que l’écrivain peut être, s’il le choisit, l’homme le plus libre au monde.»
Roman
Xaver Bayer
La Vie avec Marianne
Traduction de l’allemand (Autriche) par Eric Faye avec la collaboration de Christina Faye
Éditions du Faubourg, 184 p.